Est-ce un effet pervers de la démocratisation des écrans plats et de l'invasion des cinémas maison? Je ne le sais pas. Ce qui me semble clair, en revanche, c'est que depuis quelques années, les règles d'étiquette élémentaires ont été évacuées des salles obscures.

Les gens osent de plus en plus faire au cinéma ce qu'il n'osaient faire auparavant qu'à la maison. Ils se lèvent à tout moment pour aller aux toilettes, mangent la bouche ouverte, discutent à voix haute, interpellent les personnages à l'écran (?!), déposent leurs pieds près de notre épaule, s'envoient des textos, prennent leurs courriels, se téléphonent, se curent les dents ou se liment les ongles. Ben oui, prends tes aises mon vieux! Enlève-les tes souliers qu'on sente tes petits pieds...

Traitez-moi de snob ou de vieux jeu tant que vous voulez mais, comme dirait ma mère, pousse mais pousse égal. Y a toujours ben des limites à endurer la senteur de petits pieds d'autrui.

Par déformation professionnelle sans doute, je suis devenu très peu tolérant de tout ce qui distrait d'un film: la pub, le pop-corn, le va-et-vient des gens dans la rangée devant moi.

Je vais au cinéma en moyenne 3,6 fois par semaine. La plupart du temps le matin, à l'occasion de projections pour la presse. Les conditions sont idéales: pas de pop-corn, pas de pub, pas de discussions, pas de vieux monsieur qui a envie de pipi.

Je suis devenu avec le temps de plus en plus radical dans mes pratiques cinématographiques. Il faut dire que je n'ai ni BlackBerry ni téléphone portable et qu'une sonnerie personnalisée imitant en format Casio la 9e de Beethoven en pleine projection me transforme du gentil Bruce Banner en méchant Hulk.

Je sais bien que le pop-corn est pour certains aussi indissociable du cinéma que l'est Batman de Robin (au fait, où est passé Robin?). Mais je m'en confesse: l'odeur du pop-corn mouillé par des jets successifs de simili beurre m'est particulièrement désagréable. Comme celle, plus nauséabonde encore, du carton noyé dans une boue fluorescente et visqueuse que l'on nomme «nachos au fromage» dans les comptoirs à cochonneries hors prix des cinémas.

Chaque fois que j'entends quelqu'un croquer bruyamment dans une poignée de maïs soufflé aux effluves de plastique carbonisé, mes tempes se gorgent de sang, mon rythme cardiaque s'emballe, je me découvre des triceps et mon teint santé vire au vert.

Je n'ai pas été surpris d'apprendre la semaine dernière que je ne suis pas le seul à être à fleur de peau lorsque le sacro-saint silence d'une salle de cinéma est violé. Dans un lieu de culte, on se comporte en conséquence. Ça va d'ailleurs pour tout le monde.

Le jour de Noël, dans un cinéma de Philadelphie, James Joseph Cialella, 29 ans, ne supportant plus le bruit que faisait la famille assise devant lui, a demandé à ses voisins turbulents de se taire.

Lorsque ceux-ci n'ont pas réagi, il a lancé du pop-corn en direction d'un des enfants. Le garçon n'a pas bronché et a continué de parler. Cialella s'est levé, a brandi un revolver et a tiré sur le père de la famille, le blessant au bras.

Pendant que les autres spectateurs fuyaient le cinéma, Cialella s'est rassis calmement et a continué de regarder le film, The Curious Case of Benjamin Button. La police de Philadelphie est intervenue peu après. Le cinéphile armé a raté la fin du film de David Fincher, qui dure près de 3 heures.

James Cialella est passible de six chefs d'inculpation parmi lesquels tentative de meurtre et agression avec circonstances aggravantes. Le père de famille de 31 ans n'a pas été blessé grièvement.

Ils sont fous ces Américains.

Le courage d'Ari

Voir Valse avec Bachir, documentaire d'animation très poignant d'Ari Folman, dans le contexte des attaques israéliennes à Gaza, porte évidemment à réflexion. Parce qu'il y est question d'autocritique, d'examen de conscience et de responsabilisation. En l'occurrence de la responsabilité israélienne dans les massacres de Sabra et Chatila.

Ce film-thérapie d'un ancien soldat adolescent - Ari Folman n'avait que 17 ans lorsqu'il a été envoyé au front au Liban - transcende la démarche personnelle et trouve toute sa résonance dans la réflexion qu'il propose sur les conséquences de la guerre.

Que l'on condamne le terrorisme du Hamas ou la démesure militaire d'Israël (pourquoi pas les deux?), on ne peut rester insensible à tous ces civils tués de part et d'autre du conflit. L'armée israélienne a tué des enfants à Gaza. Elle était complice du meurtre d'enfants palestiniens dans les camps de Beyrouth en 1982.

Ari Folman a fouillé dans son passé et reconnu sa responsabilité dans ces actes, longtemps refoulés dans sa mémoire. Pour que l'on ne les oublie jamais. Son acte de contrition est une main tendue à la paix. Si plus de Palestiniens et d'Israéliens avaient son courage, il y aurait peut-être de l'espoir pour le Moyen-Orient. Désolé d'être aussi fleur bleue. Ce doit être le temps des Fêtes...