On en a tellement parlé. Mais si je peux me permettre... Je trouve que Polytechnique est un film brillant. Dur et bouleversant, brutal et fin, mais brillant.

Il s'agit certainement du film le plus abouti de Denis Villeneuve, un réalisateur hors normes qui n'avait pas tout à fait maîtrisé l'art du scénario dans ses précédents longs métrages.

Ici, grâce à une réalisation au service du scénario subtil de Jacques Davidts, Villeneuve a su éviter la plupart des pièges - et ils étaient nombreux - qui s'offraient à lui. En particulier l'écueil du film à thèse.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'angle, pas de vision, pas de parti pris dans l'oeuvre à tiroirs qu'est Polytechnique. Le parti pris du film et de ses artisans se trouve par à-coups, de manière subtile, dans différentes scènes et personnages.

Il se devine entre autres dans le sexisme convenu, presque anodin pour l'époque, de cet employeur macho qui, à l'occasion d'un entretien, demande sans ambages à Valérie (Karine Vanasse) si elle compte avoir des enfants, le génie mécanique étant «naturellement» affaire d'hommes.

Il se trouve aussi dans le personnage de Jean-François (Sébastien Huberdeau), qui incarne la conscience tourmentée de ces hommes qui n'ont rien pu faire, malgré tous leurs efforts, pour sauver leurs camarades de classe. C'est l'homme qui reste après le naufrage, hanté par ses démons. L'homme brisé, comme une série de blocs de glace à la dérive, victime collatérale du massacre. L'anti-Marc Lépine.

Au-delà des points de vue et des partis pris, Polytechnique est une oeuvre remarquable. Un film à marquer d'une pierre blanche dans notre cinématographie récente. Un film brillamment réalisé, qui mesure parfaitement ses effets. Un film extrêmement bien joué, des premiers rôles (Maxim Gaudette, renversant) aux personnages secondaires. Un film d'une sobriété nécessaire, qui suggère plutôt que de souligner au crayon gras.

Un électrochoc, marqué d'emblée par le coup de poing au plexus des premiers coups de feu, qui maintient le spectateur dans l'ambiance tourmentée, de tension perpétuelle et de danger soutenu, de cette journée tragique du 6 décembre 1989.

Les mécanismes du cinéma y sont pour beaucoup. La réalisation de Villeneuve, soucieuse du détail, qui s'attarde sur la main de Karine Vanasse effleurant celle de sa meilleure amie, devant le tueur. La superbe direction photo de Pierre Gill. Le choix de l'image monochrome.

Le bruit sourd de l'inquiétude, qui bourdonne sans cesse, comme le vent d'hiver tentant de se faufiler par la fenêtre. La musique, admirable de retenue, de Benoît Charest. La structure habile du scénario de Jacques Davidts. Le montage éloquent de Richard Comeau...

On regrettera bien sûr quelques couacs, en particulier cette lettre destinée à la mère de Lépine. Pour le reste, c'est comme si on y était. C'est bien ce qui fait le plus mal. Et ce qui fait la force de ce grand film.

À vous de juger

Avisé ou malavisé? À voir ou à ne pas voir? Raté ou réussi? Avec ou sans point de vue? Utile ou inutile? Instructif ou répétitif? Trop violent ou trop froid? Sobre ou esthétisant? Bien réalisé ou trop réalisé? Trop poétique ou trop cru? Terrifiant ou impavide? Émouvant ou éteint? Complaisant ou distancié? Trop de questions ou pas assez de réponses?

Polytechnique, l'archétype du film qui divise, est à l'affiche depuis hier. À vous maintenant de juger.

Une bonne nouvelle

Le Parallèle n'est pas mort. Vive le parallèle! Daniel Langlois a confirmé cette semaine la très bonne nouvelle: Ex-Centris propose un sursis à la mythique salle du boulevard Saint-Laurent, qui compte nous présenter bientôt des films aussi attendus que Lost Song de Rodrigue Jean, Les plages d'Agnès d'Agnès Varda et La vie moderne de Raymond Depardon.

Mais le problème reste entier: Montréal perdra le mois prochain deux salles de cinéma (la Cassavetes et la Fellini) consacrées exclusivement au cinéma de qualité. Où iront les films? Vivement un nouveau cinéma.

Un très bon film

C'est une oeuvre à la fois lumineuse et austère à laquelle nous convient une fois de plus les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne. Le silence de Lorna, prix du scénario du dernier Festival de Cannes, s'intéresse, toujours dans le registre du réalisme, au sort des immigrés de l'Europe de l'Est à l'Ouest.

Le statut de Lorna (magnifique Arta Dobroshi), une Albanaise mariée en blanc à un héroïnomane belge (Jérémie Rénier), vient d'être régularisé. Le divorce est convenu. Un pacte a été scellé avec un petit bandit local pour un nouveau mariage arrangé, plus payant, avec un mafieux russe. Le véritable amoureux de Lorna, albanais lui aussi, prend son mal en patience. Mais le temps presse. Et certains secrets deviennent lourds à porter.

Lorna gardera-t-elle le silence? Les frères Dardenne gardent la question en suspens. Il se trouve peu de cinéastes pour filmer avec autant d'acuité cette chose toute simple qu'est l'humanité.