The Reader est un beau film, finement scénarisé par David Hare d'après le livre de Bernhard Schlink, réalisé sobrement par le cinéaste de The Hours et de Billy Elliot, mettant en scène une Kate Winslet superbe d'austérité (elle devrait logiquement remporter l'Oscar de la meilleure actrice dans une semaine).

Sauf que dans ce long métrage campé dans l'Allemagne de l'après-Seconde Guerre mondiale, tout le monde, de l'employée de tramway au prof de droit, parle anglais. Pis encore, tout le monde parle un anglais britannique standardisé, mâtiné d'un accent germanique qui varie selon les humeurs de la distribution.

C'est. Très. Agaçant.

Ce n'est pas l'anglais en soi qui m'agace - vous trouverez peu de journalistes plus anglophiles que moi à La Presse. C'est l'absurdité de son utilisation dans ce contexte précis.

La plupart des acteurs de The Reader sont allemands. Des acteurs allemands, jouant des personnages allemands, dans un film inspiré d'un roman allemand, tourné sur place en Allemagne... mais s'exprimant entre eux, sans exception, dans un anglais parfois laborieux.

Ajoutez à cela des acteurs britanniques qui tentent de masquer leur propre accent en empruntant celui d'Allemands parlant un anglais british standardisé, et vous avez tout pour déranger mes oreilles hyper sensibles (c'est un aveu) aux fluctuations d'accents et de niveaux de langage au cinéma.

Je sais bien que la plupart des gens arrivent sans peine à faire abstraction de ce genre de détail. Encore que plusieurs d'entre eux se formaliseraient sans doute de voir des acteurs québécois, interprétant des personnages québécois, dans un film inspiré d'un roman québécois, tourné au Québec, s'exprimer en anglais.

Je le répète: ce n'est pas l'anglais qui me chatouille. C'est l'idée qui dicte, contre toute logique, qu'un film sur la Shoah, en Allemagne, soit tourné en anglais. Pas pour répondre aux diktats des studios hollywoodiens ni pour satisfaire aux exigences du public américain, mais simplement parce qu'en 2009, c'est comme ça. Point à la ligne. Ce l'était aussi du reste en 1993, quand Spielberg a tourné Schindler's List, et en 2002, quand Polanski a tourné The Pianist.

Pourtant, il me semble que dans une oeuvre, la langue, la crédibilité de la langue, n'est pas un menu détail.

Che beau

Tout ça pour vous dire que dans le Che de Steven Soderbergh, qui prend l'affiche vendredi prochain, il n'y a que les Américains qui parlent l'anglais. Et sur les 4h10 que dure ce diptyque sur les campagnes révolutionnaires d'Ernesto Guevara à Cuba et en Bolivie, on doit parler l'anglais pendant 10 minutes.

Pour le reste, si votre espagnol est aussi rudimentaire que le mien - commander une bière, demander l'heure, hum, c'est à peu près ça - vous serez quitte pour quatre heures de sous-titres (même Marc-André Grondin, qui incarne brièvement Régis Debray, ne dit pas un mot de français, langue parlée couramment par le Che).

C'est le prix, minime à mon sens, à payer pour voir une oeuvre remarquable, âpre et épurée, sans compromis, qui n'a pas été dénaturée par le dogme hollywoodien (et qui devrait, avec un peu de chance, faire à peu près 3338,24$ au box-office nord-américain).

«C'était la moindre des choses sur le plan de la crédibilité», a déclaré Soderbergh au sujet du choix de l'espagnol, lors de la présentation du film à Cannes, en mai dernier. «C'est aussi par respect pour les différentes cultures auxquelles je m'intéresse en tant qu'étranger. Quand je vois des cinéastes américains tourner en anglais une histoire propre au pays dans lequel ils tournent, cela me sidère chaque fois. J'ose espérer que cette forme d'impérialisme culturel cessera un jour.» (Propos recueillis par l'ami Lussier)

Steven Soderbergh n'a pas seulement été soucieux de respecter la langue du Che dans cette oeuvre-fleuve. Son film, d'une vérité crue, aussi loin de l'hommage complaisant que de la biographie filmée traditionnelle, se veut une incursion dans le quotidien d'un révolutionnaire.

Le cinéaste, sans s'encombrer de détails biographiques, présente la figure emblématique de la révolution cubaine comme un homme d'idéaux, de principes et de justice, qui croyait autant en l'humanité qu'en la nécessité de prendre les armes pour libérer l'homme du joug de l'opresseur. Un idéaliste fidèle à ses préceptes jusque dans ses derniers retranchements, prêt à mourir, certes, mais aussi à tuer pour ses idées.

La caméra de Soderbergh ne juge pas le Che. Elle témoigne de son existence et de son influence. Son film se propose en diptyque sur la victoire et la défaite, sur la réussite et l'échec. La première partie (The Argentine), plus dynamique, privilégie un montage parallèle entre le maquis cubain et l'Assemblée des Nations unies à New York. La seconde (Guerilla), plus languide, se concentre exclusivement sur la guérilla bolivienne, jusqu'à la mort de Guevara par exécution sommaire le 9 octobre 1967.

Che est une oeuvre d'une lenteur volontaire, contemplative, tournée sans esbroufe. Le murmure s'offre en répliques, les dialogues en coups de feu, la photo ne cherche pas à se démarquer, la bande-son préfère la subtilité. Le jeu de Benicio del Toro est à l'avenant, sobre, naturel, sans fards ni effets.

Ce film anti-hollywoodien, sans courbe dramatique apparente, sans structure scénaristique conventionnelle, cultive l'ennui avec délicatesse, respectueusement, comme un art. J'ai pensé spontanément à The Thin Red Line de Terrence Malick, en moins esthétisant, avant d'apprendre qu'il avait collaboré à l'écriture du scénario. Che aurait pu être de Malick. C'est un film qui porte la marque d'un autre grand cinéaste américain.