Pour une rare fois depuis longtemps, je n'ai pas vu les Oscars du quatrième balcon du Kodak Theater ni même du confort douillet de mon salon. J'ai vu les Oscars d'une île au large de l'Atlantique, peuplée de gens dont la religion consiste à téter des piñas coladas au milieu d'un paradis cinq étoiles qui aurait pu être dessiné par Walt Disney.

Il y a deux ans, la direction de cet hôtel où j'ai passé la semaine avait organisé pour la soirée des Oscars, une grande fête sur la plage avec écran géant, flambeaux et champagne à volonté. Cette année, récession oblige, on avait opté pour la sobriété d'un bar de bambou encastré dans une luxuriante palmeraie. À l'entrée de la palmeraie, deux statuettes dorées en carton, grandeur nature, invitaient tous les résidants du paradis à venir célébrer le cinéma et ses stars.

L'hôtel de 471 chambres étant presque plein, je m'étais imaginé qu'il y aurait une ruée à la palmeraie et que nous serions au moins aussi nombreux que les 350 courageux cinéphiles mont-réalais qui ont bravé la météo pourrie pour aller voir les Oscars au cinéma du Parc lundi. Erreur. Sur les 942 clients potentiels de l'hôtel, seulement 30 ont répondu à l'appel, dont ma douce moitié et moi.

Alors que j'entamais mon premier rhum orange et grenadine, j'ai demandé à ma voisine du New Jersey, qui entamait son premier martini, pourquoi elle avait voulu voir les Oscars. «Parce je les regarde depuis que je suis toute petite» a répondu celle qui semblait avoir 50 ans et des poussières et qui fait sans doute partie de la dernière génération de fidèles qui regarderont les Oscars jusqu'à leur mort, sans pour autant transmettre leur foi à leurs rejetons.

Les signes de la fin de cette tradition sont déjà bien en place. L'année dernière, les cotes d'écoute du gala ont plongé au fond de l'abîme et enregistré leur plus forte baisse avec seulement 32 millions de téléspectateurs. Cette année, les cotes ont monté jusqu'à 36 millions, mais si je me fie à ce que j'ai vu au paradis, les Oscars tels que nous les connaissons aujourd'hui n'en ont plus pour très longtemps.

Autour de moi, sous la palmeraie, c'était évident que les Américains et les Canadiens réunis par hasard, n'éprouvaient aucun réel intérêt pour l'interminable gala de 3 heures qu'ils étaient venus voir par habitude, par nostalgie ou tout simplement pour pouvoir boire sans retenue.

Non seulement la vaste majorité d'entre eux n'avaient pas vu les films en lice, mais ils n'étaient même pas foutus de nommer les cinq titres retenus pour l'Oscar du meilleur film de l'année.

Ils assistaient donc à une course dont ils ignoraient aussi bien le nom des coureurs, la marque de leurs bolides que l'enjeu final. Spécial...

Pas surprenant que passé le numéro d'ouverture enlevant de Hugh Jackman, passé les émois de la belle Penélope, la première gagnante de la soirée, ils aient abandonné l'écran géant auquel ils n'ont plus jeté que de distraits et mornes coups d'oeil.

J'avais imaginé que plus la soirée progresserait, plus il y aurait de monde dans la palmeraie. Le contraire s'est produit. À mi-parcours, alors que le palpitant gagnant de l'Oscar du meilleur mixage n'en finissait plus de remercier son père, sa mère, son frère et sa soeur, le public de la palmeraie avait fondu de moitié. J'en ai profité pour interpeller le mixeur gagnant en lui demandant ce que sa soeur avait à voir dans l'histoire. «Right on!» a beuglé une Américaine en levant son verre dans ma direction en signe de solidarité.

Ce fut le seul vrai moment de communion de la soirée. Ça et l'hommage posthume à Heath Ledger où, l'espace de quelques instants, les voix de la palmeraie se sont tues pour écouter les parents et la soeur de l'acteur mort accepter en son nom l'Oscar du meilleur acteur dans un rôle de soutien.

Pour le reste, mes amis du paradis ont terminé la soirée en se racontant des histoires et en enfilant des piñas coladas et des croquettes de fromage. Le cinéma dans tout cela? Rien à cirer.

À minuit moins cinq, à quelques minutes du grand couronnement, je me suis tournée vers mes camarades qui me semblaient étrangement calmes. Et comment! Il ne restait plus que quatre personnes, dont moi-même et ma douce moitié. Les autres avaient abdiqué avant le dénouement final. J'ai essayé d'imaginer le stade de Tampa en Floride complètement vide sauf pour quatre personnes qui seraient restées pour assister aux dernières minutes de l'affrontement entre les Steelers et les Cardinals lors du dernier Super Bowl. Impossible...

Vous me direz que je n'avais pas besoin d'aller aussi loin pour constater que les Oscars finissent toujours par emmerder les gens peu importe où ils se trouvent. C'est vrai. Un jour, les producteurs de ce gala vont devoir trouver un remède pour rendre ce rituel captivant et en phase avec le rythme de notre époque, sinon il est appelé à disparaître. L'année prochaine, j'irai voir les Oscars au cinéma du Parc, peut-être pas un paradis cinq étoiles dessiné par Walt Disney, mais à coup sûr un paradis pour les gens qui aiment le cinéma.