Des neuf projets de films retenus par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), et des sept soutenus par Téléfilm Canada depuis deux semaines, aucun ne sera réalisé par une femme.

La chose serait probablement passée inaperçue si elle n'avait été relevée par Les Réalisatrices équitables, un groupe de pression formé en 2007 et voué à la défense des droits des réalisatrices de télévision et de cinéma.

Fort de l'appui de 178 réalisatrices, le collectif a demandé cette semaine, dans une lettre ouverte à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine Christine St-Pierre, de prendre des «dispositions immédiates, énergiques et proactives pour que cesse cette discrimination systémique».

Les Réalisatrices équitables ont raison de parler d'un problème systémique. Selon une étude commandée l'an dernier par le groupe de pression, la part de l'aide gouvernementale allouée aux longs métrages réalisés par des femmes n'a pas augmenté, mais diminué depuis 20 ans.

Entre 2002 et 2007, les longs métrages de fiction signés par des réalisatrices et soutenus par Téléfilm Canada comptaient pour seulement 13 % du total. Il faut dire qu'à peine 15 % des projets soumis à l'organisme fédéral au cours de cette période l'ont été par des femmes cinéastes.

Parmi les 39 longs métrages de fiction proposés à la SODEC lors du dernier dépôt de projets, trois seulement provenaient de réalisatrices. Qu'aucun film soutenu par les institutions en ce début d'année ne soit réalisé par une femme est certainement déplorable. Mais dans le contexte, ce n'est guère surprenant.

Alors que les femmes représentent près de la moitié des étudiantes dans les écoles de cinéma, elles n'étaient en 2007 que 29 % des membres de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ). Aussi, le problème des réalisatrices semble surtout en être un d'accès à la profession.

C'est un problème qui n'est pas proprement québécois. J'ai reçu cette semaine le livre 501 réalisateurs, un ouvrage sur les plus grands cinéastes de l'histoire du septième art, publié aux Éditions du Trécarré. Sur ces 501 réalisateurs, il y a à peine une vingtaine de femmes: Jane Campion, Mira Nair, Catherine Breillat, Claire Denis, Marguerite Duras, Margarethe Von Trotta, Agnieszka Holland, Chantal Ackerman, Leni Riefenstahl, Agnès Varda et quelques autres. (Aparté: dans le lot, on ne retrouve que deux Québécois: Denys Arcand et... Robert Lepage, que les institutions ont pratiquement découragé de tourner des films).

La discrimination des réalisatrices ne date pas d'hier. «Ma jeunesse, mon inexpérience et mon sexe ont conspiré contre moi», disait la Française Alice Guy, considérée par plusieurs comme la première femme cinéaste. Née en 1873, elle est tombée dans l'oubli dans les années 20, après avoir réalisé une quinzaine de films.

Au Québec, paradoxalement, plusieurs maisons de production, qui choisissent ultimement les projets de films déposés à la SODEC et à Téléfilm Canada, sont dirigées par des femmes. Ce n'est pas à elles que font appel ces jours-ci Les Réalisatrices équitables, mais aux institutions.

«Il est urgent d'instaurer des mesures incitatives et correctives afin de modifier cet état de fait et de faire en sorte qu'en cinéma et en télévision - comme ailleurs dans la société - une vraie égalité des chances existe pour les réalisatrices», écrit Lucette Lupien, au nom des Réalisatrices équitables, à la ministre Christine St-Pierre.

Ces «mesures incitatives et correctives» peuvent être assimilées à des mesures dites de «discrimination positive». Dans un monde idéal, il n'y aurait pas de discrimination, «positive» ou autre. Sauf qu'il n'y a pas de monde idéal.

Selon une étude récente du cabinet Hill Strategies, les femmes artistes, qui représentent 53 % des artistes canadiens, gagnent en moyenne 19 200 $, soit 28 % de moins que le revenu moyen des hommes artistes. Selon l'Union des artistes, les comédiennes ont constitué en moyenne 44% de la distribution de l'ensemble des productions cinématographiques récentes, mais n'ont touché que 35 % des revenus.

La situation n'est pas plus rose derrière la caméra. Il est tentant, dans les circonstances, comme le font Les Réalisatrices équitables, de demander aux institutions d'envisager des quotas. À mon avis, ce serait une erreur. Les réalisatrices devraient être choisies au mérite, pas parce qu'elles sont femmes.

Accepter d'être sélectionnée sur la base de son sexe, c'est courir le risque de céder au paternalisme dominant, de s'enfermer dans un carcan infantilisant et de laisser son travail être insidieusement dévalué. C'est, d'une certaine façon, abdiquer.

L'an dernier, sans quotas, trois des neuf projets de films retenus par la SODEC en première ronde étaient pilotés par des femmes cinéastes. Pourtant, seulement 10 projets sur 66 ont été présentés par des réalisatrices en 2008. Bref, il y a de l'espoir. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut rester les bras croisés.

Au contraire. Il faut continuer de sonner l'alarme, d'informer, de faire pression, d'encourager les femmes à persévérer dans le métier. Les Réalisatrices équitables font en ce sens un travail essentiel, pour que la voix des femmes soit entendue au cinéma.