Il n'y a pas de mauvais sujet de film, il n'y a que de mauvaises façons d'aborder un sujet de film. Fallait-il faire un film de fiction sur la vie - et la mort - de Dédé Fortin? Non, bien sûr. Il ne le «fallait» pas. A-t-on le droit de faire un film de fiction sur Dédé Fortin? Bien sûr que oui.

Cette semaine, dans une lettre ouverte aux médias, Nicole Bélanger, une ex-compagne de Dédé Fortin, regrettait la «récupération» du chanteur des Colocs par l'équipe du film Dédé à travers les brumes.

Nicole Bélanger, dont le personnage est interprété au cinéma par Bénédicte Décary, dénonce «l'énorme battage publicitaire et promotionnel fait autour du film» et l'image du «Dédé tout propre, tout beau, plus socialement acceptable, plus sortable (comprendre exportable)» qu'il présente.

Elle accuse les artisans du film d'avoir mis à l'écran un Dédé «qui lave plus blanc», sans respecter sa «mort ni le chagrin du deuil», en exploitant et récupérant sans scrupule «tout ce qui peut rapporter pour nourrir d'insatiables monstres avec la complicité tranquille d'un public assoiffé d'émotions».

À Dédé Fortin, elle destine cette dernière phrase: «Je peux seulement souhaiter que tu reposes en paix dans ton éternité et que tu n'entendes pas les marchands du temple quand ils viendront danser sur ta tombe en se partageant le butin.»

Je comprends la colère de Nicole Bélanger. Je la comprends aussi de l'exprimer aussi crûment. M'est avis, cependant, qu'elle a tort.

Dédé à travers les brumes n'est pas un film sans défauts, mais c'est un film franc, honnête, réalisé avec un réel souci de vérité. Il est vrai que l'on n'y dépeint pas Dédé Fortin comme le partouzeur que certains ont connu, qu'il est assez propre de sa personne - pas de dope, pas d'excès -, qu'il est d'une certaine façon «socialement acceptable». Jean-Philippe Duval ne lui rend pas moins un authentique hommage.

Réduire le film de Duval à une entreprise de récupération et d'exploitation commerciale n'est pas seulement exagéré, c'est mensonger. Si le cinéaste et son producteur Roger Frappier avaient voulu s'enrichir, s'ils avaient voulu, comme le laisse entendre Mme Bélanger, réaliser un produit «exportable», il aurait choisi un sujet beaucoup plus vendeur.

Jean-Philippe Duval a travaillé quatre ans à ce long métrage sur Dédé Fortin. Il y a mis, de toute évidence, tout son coeur et ses tripes. Il y a énormément réfléchi. Il a dû retravailler son scénario, lorsque son budget a été amputé de 1 million de dollars. Le résultat est à l'avenant, soigné, senti, émouvant.

D'autres ont sourcillé, avant Nicole Bélanger, à la commercialisation de la bande originale du film, chantée par Sébastien Ricard plutôt que par Dédé Fortin. On aurait pu, en effet, se passer de cet artifice, qui a détourné l'attention du film. Nicole Bélanger condamne-t-elle, indirectement, la participation de Ricard à Star Académie? Elle aurait tort de le faire.

Car si Nicole Bélanger souhaite sincèrement que l'on s'intéresse aux chansons de Dédé Fortin, que l'on écoute attentivement, comme elle le dit, «les mots du principal intéressé», il n'y a pas de meilleure façon de le faire, ironiquement, que par le «battage publicitaire et promotionnel» qu'elle s'applique à dénoncer.

Dédé Fortin était un artiste populaire, qui souhaitait faire entendre sa musique par le plus grand nombre de personnes. Grâce au film de Jean-Philippe Duval, grâce aussi à l'incroyable vitrine de Star Académie, une nouvelle génération risque de découvrir les chansons des Colocs.

Voir Dédé à travers les brumes m'a donné envie de ressortir Dehors novembre. Je ne suis sans doute pas le seul. La musique de Dédé appartient à tous ceux qui l'ont aimée, mais à personne en particulier, ni à ses proches ni même à sa famille. C'est ainsi qu'il l'a voulu.

Où Nicole Bélanger erre le plus, à mon avis, c'est lorsqu'elle rend «un public assoiffé d'émotions» complice de l'hérésie que constitue pour elle la commercialisation d'un film sur André Fortin.

Le public ne va pas voir Dédé à travers les brumes pour enrichir de monstrueux «marchands du temple», ni pour assouvir un besoin primaire d'émotions fortes. Le public va voir ce film parce que, comme Nicole Bélanger, il a aimé Dédé.

Renouer avec Mikhalkov

J'ai découvert le cinéma de Nikita Mikhalkov en même temps que la Russie, au début des années 90. J'ai suivi un cours d'été de sciences politiques, à l'Université Lomonosov de Moscou, et je suis tombé sous le charme de cette Russie en effervescence, fraîchement libérée du joug soviétique.

Je me souviens d'avoir fait la file, à l'ancien cinéma Parallèle, pour voir l'excellent Anna 6-18, le documentaire de Mikhalkov consacré à sa fille et à sa famille. Le film avait tenu l'affiche pendant des mois dans la petite salle du boulevard Saint-Laurent.

Après Les yeux noirs, Urga et l'excellent Soleil trompeur, Mikhalkov a réalisé Le barbier de Sibérie, mal reçu en Europe, qui n'a pas été distribué chez nous. Puis, pendant 10 ans, il n'a plus donné de nouvelles, sinon pour soutenir des oligarques ou pour tourner un film de propagande pour son ami Vladimir Poutine.

En apprenant qu'il avait adapté à la russe 12 Angry Men de Sidney Lumet, en campant le huis clos autour du procès d'un jeune Tchétchène, je me suis inquiété de la tournure que prendrait son nouveau film. Le nationaliste manichéen allait-il prendre le dessus sur l'artiste philosophe?

Bonne nouvelle: 12, à l'affiche depuis hier, est un film fin, réfléchi, tendu, imprégné de cette indicible «âme russe» qui m'avait tant séduit à l'époque. Je renoue avec joie avec l'artiste, en excusant presque le propagandiste.