«Les Jutra ont-ils encore leur place?» se questionnait jeudi sur son blogue mon collègue Marc-André Lussier. Inquiété par le peu d'enthousiasme suscité par le gala des Jutra de demain chez ses lecteurs, l'ami Lussier leur demandait si cette remise de prix avait encore son utilité.

La question de Marc-André est peut-être brutale, comme il le dit lui-même, mais elle est aussi pertinente. Les Jutra ont vu leur crédibilité minée ces dernières semaines par l'exclusion de Tout est parfait de la catégorie du meilleur film, par la confusion entourant des bulletins de vote erronés, par l'apparence de partialité de certains jurés et par les conclusions de jurys de professionnels «fantômes», fort différentes de celles des électeurs.

L'absence parmi les finalistes au Jutra du meilleur film de Tout est parfait, remarquable premier long métrage d'Yves-Christian Fournier - généralement considéré par la critique comme le meilleur film québécois de 2008 -, en a laissé plus d'un pantois lors de l'annonce des nominations, le mois dernier.

La Presse a appris dans la foulée que Tout est parfait, ainsi que son principal interprète, Maxime Dumontier, avaient été sélectionnés parallèlement par des jurys de professionnels mis sur pied de manière exploratoire par les organisateurs des Jutra. Les choix de ces «jurys fantômes», plutôt que de valider ceux des électeurs, ont mis en évidence les lacunes du vote universel.

Par exemple, plusieurs se sont demandé comment Susan Sarandon avait pu se retrouver parmi les finalistes au Jutra de la meilleure actrice alors que le film pour lequel elle est nommée, Emotional Arithmetic, a été très peu vu au Québec. Ils ont été d'autant plus surpris que le nom de Susan Sarandon ne figurait pas sur la première liste de finalistes potentiels envoyée aux électeurs. Une deuxième liste, sur laquelle apparaissait Susan Sarandon, n'a ensuite pas été reçue par tous les électeurs.

«Quand on a vu le film, ce n'est pas une performance extraordinaire», a même confié à mon confrère du Soleil Richard Therrien la présidente de la Grande Nuit du cinéma (qui chapeaute le gala des Jutra), Danielle Proulx, se disant la première étonnée de la nomination de l'actrice américaine. Elle-même en lice pour le Jutra de la meilleure actrice dans un rôle de soutien pour sa prestation dans Le déserteur, Danielle Proulx a fait de la révision du mode de désignation des finalistes une priorité de sa présidence.

À la lumière des couacs de la dernière sélection, elle a peut-être raison. J'ai toujours considéré le vote universel comme un moindre mal pour les Jutra, dans un petit milieu, celui du cinéma québécois, où les apparences de conflits d'intérêts sont inévitables avec des jurys de pairs. Sauf qu'il y a aujourd'hui trop de raisons qui permettent à certains de croire que les Jutra n'ont «plus leur place».

Dans les faits, les Jutra ont plus que jamais leur place, leur utilité et leur importance. Non seulement les prix récompensent depuis 11 ans la qualité du travail des artisans du cinéma québécois, mais la soirée qui les célèbre offre une vitrine exceptionnelle aux films québécois. Il s'agit d'un rayonnement dont notre cinéma ne saurait plus se passer. Aussi, depuis 11 ans, on ne peut dire que les électeurs des Jutra se soient souvent trompés.

Il reste qu'afin d'assurer la pérennité de la soirée des Jutra, et afin de redorer son blason terni, le temps est peut-être venu d'envisager une forme hybride de sélection des finalistes, privilégiant un vote universel pondéré par celui de jurys indépendants.

Les finalistes des Jutra comme ceux des Oscars sont choisis par les pairs (les réalisateurs par les réalisateurs, les acteurs par les acteurs et ainsi de suite). Ceux-ci n'ont pas d'obligation d'avoir vu les films admissibles avant de voter, ce qui peut donner aux Jutra des airs de concours de popularité. Certains votent pour leurs amis ou pour les candidats qu'ils connaissent, au détriment du travail supérieur des autres. Un lecteur du blogue de Marc-André Lussier disait même avoir voté pour Susan Sarandon dans le seul but qu'elle se pointe le bout du nez à la soirée des Jutra. Bref, il est temps de revoir tout ça.

Une belle Grande Ourse

Si la crédibilité des Jutra a été mise en doute récemment, on ne peut en dire autant de la qualité et de la diversité du cinéma québécois. Après l'excellent Polytechnique et l'inspirant Dédé à travers les brumes, un autre film québécois fort réussi prend l'affiche ce week-end. Il s'agit de Grande Ourse - La clé des possibles, de Patrice Sauvé, qui avait réalisé la série télé du même nom, également scénarisée par Frédéric Ouellet.

On retrouve avec plaisir au grand écran les personnages de Gastonne (Fanny Mallette), Biron (Normand Daneau) et Lapointe (Marc Messier), dans une intrigue qui propose quelques clins d'oeil, mais n'a finalement que peu à voir avec la télésérie (comprendre: les non-initiés pourront facilement s'y retrouver).

Un film de genre éclaté, d'une superbe esthétique (entre le monochrome et l'écarlate), bien joué, bien écrit, bien réalisé, cohérent, limpide, sans fausses notes. Le gala des Jutra est déjà assuré d'un bon cru pour l'an prochain.