Alexandre avait 17 ans, un scénario sous le bras, et toutes les ambitions du monde. Il a envoyé son scénario - de long métrage - à sa comédienne préférée, Anne-Marie Cadieux... et elle lui a répondu. Il s'en étonne encore aujourd'hui. «J'étais très naïf», dit-il en riant.

Passionné de cinéma, Alexandre s'est inscrit en scénarisation dans une école spécialisée de Québec. Puis, un jour de 2006, en regardant Babel au Clap avec des copains, il s'est découvert une drôle de bosse dans le cou. «Ce doit être un kyste», lui a dit son amie Marina. «Tu devrais aller à la clinique», lui ont suggéré ses parents, qui habitent en Outaouais. Il n'est pas allé à la clinique.

Quelques mois plus tard, Alexandre a remarqué une autre bosse, sous son aisselle. Il a aussi constaté qu'il avait perdu du poids, que ses maux de dos étaient violents, et que la bosse dans son cou avait grossi. En regardant la télé un soir, à l'automne 2007, il a entendu un concurrent de Loft Story raconter comment il avait découvert, à 20 ans, qu'il souffrait d'une tumeur au cou. Il est allé à la clinique.

Le jour de ses 20 ans, on a diagnostiqué à Alexandre un lymphome hodgkinien. Un cancer. «Je ne sais pas ce qui serait arrivé s'il n'était pas tombé sur cette émission», dit sa mère Carole, elle-même étonnée de trouver une utilité à la téléréalité.

Alexandre est retourné vivre chez ses parents, et la ronde de traitements a commencé. Chimiothérapie aux deux semaines, cocktails de médicaments, nausées, reflux gastriques, perte de poids et de cheveux. Des mois d'angoisse pour ses proches et lui. Alexandre raconte son expérience en détail dans une BD (Quand j'avais le cancer) dont la Société canadienne du cancer a publié des extraits lors du dévoilement, jeudi, des dernières statistiques sur la maladie.

C'est à cette occasion que j'ai enfin rencontré Alexandre. Je le connaissais sans le connaître. J'ai vu le percutant court métrage qu'il a tourné avec son amie Marina. Sa mère, lectrice de La Presse, me raconte depuis un an son propre parcours dans la maladie. Les hauts et les bas, l'essoufflement et les petites joies.

Aujourd'hui, Alexandre a 21 ans. Un beau grand jeune homme ténébreux, humble et réservé, gêné par l'intérêt qu'on lui porte. «Content d'être en vie». Et content aussi, d'une manière qui transcende l'ironie, d'avoir connu le cancer. «Je me sens plus vivant, plus fort que jamais», dit-il.

L'ambitieux scénario de long métrage qu'il avait envoyé naïvement à Anne-Marie Cadieux il y a quatre ans est devenu un scénario de court métrage. «La maladie m'a permis de m'y consacrer pleinement, dit-il. Les semaines où je n'étais pas en chimio, quand je me sentais mieux, je pouvais travailler sur le scénario. Je n'avais rien d'autre à faire!»

Non seulement a-t-il réécrit le scénario, mais l'été dernier, pendant quatre jours ensoleillés, il a tourné son film à Montréal, avec Maude Guérin, Éric Bruneau et, bien sûr, Anne-Marie Cadieux, grâce à l'aide de techniciens qui lui ont aussi gracieusement offert leur temps et leurs compétences. J'ai vu un extrait du film hier, tourné à la Librairie du Square. S'il est impossible de juger d'un film de 20 minutes à la lumière d'une scène de 2 minutes, je peux dire sans me tromper qu'Alexandre Grégoire a un oeil de cinéaste.

Ce court métrage, qu'il a produit lui-même, pratiquement sans subventions, devrait être achevé à l'été. Le jeune cinéaste souhaite qu'il soit diffusé dans différents festivals. Car malgré la maladie, et sans doute grâce à elle, Alexandre a toujours toutes les ambitions du monde. Il planche déjà sur son prochain scénario: l'histoire d'un jeune homme passionné de cinéma, qui lutte contre le cancer. Un scénario de long métrage. Bien entendu.

Théorie fumeuse

C'est une théorie fumeuse, je le sais bien. Mais c'est MA théorie fumeuse. Se pourrait-il que l'intolérance nord-américaine pour les films à fin ouverte soit conditionnée par notre obsession du résultat dans le sport professionnel? Et se pourrait-il, a contrario, que le goût européen pour les fins ouvertes soit lié au rapport des Européens au match nul?

Je vous entends dire: «N'importe quoi.» Et vous n'avez pas tort. Mais permettez tout de même que je m'explique. J'ai un collègue et ami - appelons-le Hugo - qui ne peut souffrir une fin ouverte. Il maudit encore les frères Coen d'avoir laissé partir en claudiquant le méchant de No Country for Old Men, sans nous dire où il allait. Il se trouve qu'Hugo, fils de journaliste sportif et hockeyeur de talent, contrairement à ses frères qui ont bon goût, déteste le soccer. Il préfère au plus beau des sports le hockey.

Or, au hockey, comme au football, au baseball et au basketball, il n'y a pas de place pour le match nul. Au hockey, pour assouvir la soif de résultats des amateurs nord-américains, on a même travesti le concept des tirs de barrage, réservé aux matches de coupe du soccer, pour décider de matchs sans incidence.

Résumons: l'amateur de sport nord-américain ne peut souffrir de fin ouverte, ni dans le sport ni au cinéma, tandis que l'amateur de soccer - qui a bien d'autres tares, là n'est pas mon propos - s'accommode aussi bien d'un magnifique match de 0 à 0 que d'un film sans dénouement apparent de Michael Haneke.

Morale vaseuse de théorie fumeuse: dans le sport comme dans la vie (comme au cinéma; excusez le cliché), le plus important n'est pas le résultat final, mais la grâce du chemin qui nous y mène.