Xavier Dolan avait 17 ans. Il venait d'abandonner ses études collégiales. Il n'avait pas de travail. Il n'avait jamais filmé le moindre court métrage, mais il avait un rêve. Pardon, pas un rêve, un objectif: aller à Cannes. Pas pour y prendre un bain de soleil ni pour zieuter les vedettes sur le tapis rouge avec les badauds. Aller à Cannes, comme on va au marché, un petit film sous le bras.

Il a écrit un scénario. Il l'a envoyé à des acteurs, à des producteurs, à des distributeurs, à Téléfilm Canada, à la SODEC. On lui a répondu, pas toujours gentiment: «Écoute petit, retourne à l'école et cesse de rêver en couleurs. Cannes! Tu veux rire?»

Il fallait des artistes pour croire en lui et son projet fou. Des actrices pour voir, au-delà de sa jeunesse et de sa fougue, un véritable talent de créateur. Anne Dorval, Patricia Tulasne, Suzanne Clément, ont accepté sa proposition. Mais ni Téléfilm ni la SODEC n'ont voulu subventionner son film. Et aucun producteur n'a voulu y investir un sou.

Rien pour arrêter Xavier Dolan. Enfant-acteur, ses parents avaient mis de côté les cachets de ses contrats de publicité et de doublage en prévision de sa majorité. À 19 ans, Xavier a investi toute sa fortune (150 000$) dans ce film qu'il a produit, scénarisé, réalisé et dans lequel il tient le rôle principal.

Un producteur a fini par s'associer à l'aventure mais, à court de fonds, la production a dû être stoppée l'hiver dernier. La SODEC a sauvé la mise in extremis grâce à son enveloppe destinée aux films indépendants.

Dans 15 jours, contre toute attente, J'ai tué ma mère, premier long métrage de Xavier Dolan, jeune cinéaste montréalais d'à peine 20 ans, sera présenté en première mondiale au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, qui s'ouvre le 14 mai avec Tetro de Francis Ford Coppola.

Comment un garçon qui vient de quitter l'adolescence se retrouve-t-il du jour au lendemain sélectionné par le plus prestigieux festival de cinéma de la planète, dans la même section que le père du Parrain et d'Apocalypse Now? Avec du front, de l'ambition et, il faut croire, du talent.

Car non seulement J'ai tué ma mère a été choisi par la Quinzaine des réalisateurs, mais il a aussi été présélectionné l'hiver dernier à la Semaine de la critique et en Sélection officielle par des dépisteurs cannois en repérage chez Téléfilm Canada.

Le jeune cinéaste, mis au courant de l'intérêt porté par les différentes sections du Festival de Cannes à son film, a espéré jusqu'à la dernière minute une sélection à Un certain regard, après le refus tardif de la Semaine de la critique. La déception a été de courte durée.

Le jour même du dévoilement de la sélection officielle, la Quinzaine des réalisateurs lui annonçait qu'elle avait retenu son film. Il est ravi, exalté et étonné de s'y retrouver, d'autant plus que deux autres films québécois, Carcasses de Denis Côté et Polytechnique de Denis Villeneuve, ont été assurés avant le sien d'une sélection. Trois films québécois à la Quinzaine, sur une vingtaine de titres, c'est en effet exceptionnel.

Un récit autobiographique
J'ai tué ma mère est l'histoire, en grande partie autobiographique, «d'un adolescent marginal rongé par la haine qu'il éprouve à l'égard de sa mère, et qui tente de retrouver la relation harmonieuse qu'il avait jadis avec elle».

Qu'on se rassure, le titre de ce drame tragicomique est une métaphore. «Ça aurait pu s'appeler Tout sur ma mère, mais ça a déjà été fait!» me dit Xavier Dolan en riant.

L'acteur-cinéaste y incarne Hubert Minel, Anne Dorval joue sa mère, François Arnaud, son amant, Patricia Tulasne, la mère de son amant, Suzanne Clément, sa prof, et Monique Spaziani, une amie de sa mère. Le père de Xavier, l'acteur Manuel Tadros, fait aussi une brève apparition dans le film.

Malgré un budget dérisoire et un tournage trop court, Xavier Dolan se dit franchement satisfait de son premier long métrage. «Je suis assez étonné d'avoir obtenu un résultat aussi proche de ce que j'espérais, après avoir dû faire tant de compromis», dit-il.

Il parle de sa sélection à Cannes comme d'une «validation». «Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça? Ça flatte l'ego, c'est sûr. Je me suis dit que j'étais peut-être membre d'un mouvement planétaire qui est le cinéma. Peut-être que je ne suis pas un imposteur. C'est difficile avec tout ce qui arrive de ne pas sourire en pensant à tous ces gens qui n'ont pas cru au film.»

Aujourd'hui, Xavier Dolan ose rêver de la Caméra d'or, remise au meilleur premier film du Festival de Cannes, toutes sections confondues (Jim Jarmusch, Jaco Van Dormael, Jafar Panahi et Zacharias Kunuk comptent parmi ses lauréats).

J'ai tué ma mère
, qui doit prendre l'affiche au Québec le 5 juin, sera distribué au Canada par K-Films Amérique et vient de trouver un distributeur en France, REZO Films, qui a acheté ses droits à l'international.

Xavier est le neveu d'une amie journaliste. Je le croise depuis quelques temps dans des projections et des conférences de presse. Je savais qu'il était scénariste, mais je ne me doutais pas qu'il avait réalisé un film, ni bien sûr que ce film se retrouverait à Cannes. Je lui fais remarquer qu'il y a sans doute un danger à commencer sa carrière par une sélection dans le plus prestigieux des festivals.

Tu n'as pas peur d'être déçu par la suite? «Non, me répond du tac au tac cet autodidacte brillant et érudit, caustique et exubérant, d'une culture cinématographique toute fraîche qu'il a envie de partager. Parce que j'ai d'autres objectifs. Mon deuxième scénario est prêt. Il intéresse déjà des gens. Il y a moins d'humour que dans J'ai tué ma mère. C'est un drame, un duel d'acteurs entre un Français et une Québécoise. Je n'ai pas peur de la comparaison. Si le film est mauvais, il n'ira évidemment pas à Cannes. Mais au moins, j'ai désormais une entrée à Cannes...» En effet.