C’est plus fort que lui. À chacun de ses fréquents passages sur la Croisette, l’enfant-terrible Lars Von Trier sème la controverse. Cette fois-ci, c’est avec un film brutal, sulfureux et cauchemardesque, Antichrist, hué copieusement lors de sa projection de presse, que le maître danois a soulevé l’ire de nombreux festivaliers.

«J’aimerais vous entendre justifier pourquoi vous avez fait ce film?» a demandé d’emblée au cinéaste, avec une réelle agressivité, un journaliste britannique en conférence de presse. «Je n’ai pas à me justifier», lui a répondu Von Trier. «Si, vous avez le devoir de vous justifier!», a insisté plusieurs fois le confrère. «Je n’ai pas à m’excusez de quoi que ce soit, a rétorqué, irrité, le réalisateur. Vous êtes ici mes invités. Ce n’est pas le contraire.» Bonjour l’ambiance.  

Brillant exercice de style, baroque, dense, visuellement splendide, Antichrist est aussi une œuvre dérangeante, d’une violence sordide qui donne dans la mutilation génitale autant que dans le délire satanique. Une œuvre sombre, glauque, inquiétante, oppressante, charnelle et impudique où l’on retrouve, poussé à l’excès, le goût prononcé de Lars Von Trier pour la provocation, la prétention, la violence et l’humour noir.

Il était écrit dans le ciel que cette œuvre audacieuse, inspirée par Tarkovski et Strindberg, serait très mal accueillie par une partie du public cannois. Plasticien de génie, Lars Von Trier propose en quatre actes (ainsi qu’un magnifique prologue) la descente aux enfers d’un couple en deuil de leur tout jeune fils. Willem Defoe, le Christ de La dernière tentation de Scorsese, trouve dans cet Antichrist un rôle de psychothérapeute qui tente d’aider sa compagne (Charlotte Gainsbourg, d’une magnifique intensité) à vivre son deuil.

Cette dernière, aux prises avec un sentiment de culpabilité lié au sexe, tente d’oublier son mal de vivre en sublimant violemment ses pulsions sexuelles. Ce que peuvent subir un pénis et un vagin… Vous vous souvenez du coup de massue brutal du personnage de Kathy Bates sur la jambe de James Caan dans Misery? À la puissance dix.

«Ce projet est né d’une dépression que j’ai faite il ya deux ans, explique le cinéaste de Dancer in the Dark (palme d’or en 2000) et de Breaking the Waves (Grand Prix du jury en 1996). Pour me remettre sur pieds, j’ai fait ce film.»

Le film le plus déconstruit et le plus noir de sa carrière, sans doute. Une proposition décalée et détraquée, qui emprunte aux codes du film d’horreur, à la façon troublante d’un David Lynch, de manière complètement éclatée, avec à l’appui une bande-son terrifiante. On ne doute pas un seul instant de l’état dépressif et instable de l’esprit tordu et génial qui a mis cette œuvre au monde comme moyen de thérapie.

Avec son humour noir, Lars Von Trier s’est joué des journalistes en conférence de presse, tournant gentiment la plupart de leurs questions en dérision. Cet agoraphobe avoué va sans doute beaucoup mieux pour nous offrir en personne le meilleur show d’humour du Festival.

De l’accueil glacial réservé à son film par la presse, et d’un potentiel rejet du public de cette œuvre difficile et violemment explicite, le trublion n’a que faire. «Je ne pense jamais aux spectateurs quand je fais des films. Cela ne m’intéresse pas. J’ai déjà été malmené par la presse dans le passé. J’aime ça. C’est le début de la discussion.» On s’en doutait.

Loach, version légère

Ken Loach, après deux films très durs, It’s A Free World et The Wind That Shakes the Barley (Palme d'or en 2006) avait envie de s’attaquer à un sujet plus léger. Grand passionné de soccer, il a été approché par l’ancienne vedette française de Manchester United, Eric Cantona, qui avait une idée de scénario en tête, inspirée par l’histoire d’un fan qui l’a suivi dans son transfert de Leeds à Manchester, en perdant en chemin travail, famille et amis.

Le scénario de Looking For Eric, du complice de longue date de Loach, Paul Laverty, est bien différent du canevas original. Il met en scène un postier de Manchester, au bord du gouffre, qui prend des leçons de vie de son idole Cantona, le plus philosophe des joueurs à avoir porté le rouge sang de la meilleure équipe de la planète (tsss, tsss, partisans du Barça: je sais de quoi je parle).

Ken Loach n’abandonne pas le créneau du réalisme social, mais il traite cette fois de la vie ouvrière sur un registre franchement comique, avec beaucoup d’esprit et de légèreté. Eric Cantona, qui est aussi producteur, n’est pas le plus grand interprète, mais il fait ici preuve de beaucoup d’autodérision, se jouant se son personnage avec doigté.

Aussi, Looking for Eric n’est pas un grand film, mais un petit film charmant et amusant, qui propose un parfait interlude à une compétition chargée d’oeuvres denses, dures et violentes.