La folie furieuse. Sur plusieurs centaines de mètres, les badauds s’étaient massés le long de la Croisette, observant le convoi de limousines de luxe, leur appareil numérique à la main.

Parfois, une rumeur arrivait de la plage, comme une vague qui vient s’échoir sur la rive, et la foule s’excitait devant le Palais des festivals, débarcadère où les stars se montrent enfin sous leur meilleur jour.

«I’m a Basterd, give me an invitation», pouvait-on lire sur les affichettes de deux jeunes hommes en smoking, assorties de photos d’eux, une hache à la main. Ils espéraient voir Inglourious Basterds, le nouveau film de Quentin Tarantino, en compagnie du cinéaste.

Chaque soir, ils sont des dizaines, en tenue de bal, à espérer le don inattendu d’un billet pour une projection gala. Ils rentrent d’ordinaire penauds, la queue de pie entre les jambes. Hier, les centaines de curieux venus faire le pied de grue n’espéraient pas voir un film. Ils souhaitaient entrevoir, ne serait-ce que quelques secondes, le couple glamour de l’heure, Brad Pitt et Angelina Jolie.

À la vue d’un SUV Mercedes aux vitres teintées, la rumeur de l’arrivée des idoles s’est intensifiée. Des cris stridents ont surgi, enterrant la bande originale de Pulp Fiction, pourtant amplifiée par la sono officielle du Festival. Une douzaine de filles, la jeune vingtaine, les jambes collées contre la barrière, sautillaient sur place dans un mouvement continu, comme des fillettes qui se retiennent d’aller aux toilettes. Fausse alerte. Ce n’était qu’Ang Lee…

Lorsque l’annonceur a annoncé l’arrivée de Robert Pattinson, la vedette de Twillight, jeune acteur inconnu au bataillon il y a six mois à peine, l’hystérie a monté d’un cran. Comme si c’était possible. J’ai cru devoir faire pour toujours le deuil de mes tympans. Je me suis imaginé un instant au stade Shea, en 1965, avec les Beatles. Ces jeunes femmes auraient vu l’Homme marcher sur la Lune, directement devant elles, qu’elles n’auraient pas été davantage impressionnées.

Michelle Yeoh, Vincent Perez, Emma de Caunes, Sharon Stone, Isabelle Huppert et le reste du jury, même Diane Kruger, Mélanie Laurent et Quentin Tarantino lui-même sont arrivés sur le tapis rouge quasi incognito, ne provoquant que de faibles «oh!» et «ah!».

S’en foutaient. Tous voulaient savoir si, comme leur avait annoncé Gala, VSD, ou une autre publication digne de confiance, c’était vrai que Brad avait quitté Angelina et leurs 14 enfants adoptés au Zimbabwe, au Mali ou au Sri Lanka…

Je vais vous le dire, moi. Ce n’est pas vrai. Les quelques dizaines de chanceux sortis sur leur balcon, devant le Palais, ont vu ce que j’ai vu de mon perchoir de l’autre côté du boulevard. Le couple royal est arrivé, entouré d’une demi-douzaine de gardes du corps. Lui en smoking classique, elle dans une longue robe saumonée à traîne, laissant voir clairement son dos décoré de tatouages. À trente mètres, j’ai bien vu ses lèvres pulpeuses d’un rouge vif.

Ils ont salué longuement la foule en liesse, ont signé des autographes et accepté gentiment d’être photographiés. Des vedettes modèles. À peine a-t-on dû les arracher des mains fébriles de quelques admirateurs trop insistants.

Savez-vous ce qu’ils ont fait par la suite? Ils se sont embrassés à la dérobée sur le tapis rouge, ont monté les marches… et ils sont allés aux vues. Maintenant vous savez tout.