Le succès ne tient qu'à un film. On s'inquiète sans cesse de la chute de popularité du cinéma québécois depuis 2005, année exceptionnelle de fréquentation. Après trois ans de décroissance continue, il semble que notre cinéma ait retrouvé un plus large public cet été, ce qui est de bon augure pour la suite.

Au cours des six premiers mois de 2009, selon Cinéac, qui analyse les performances aux guichets du cinéma québécois, les films québécois ont connu des résultats au box-office comparables à ceux de 2008, année moyenne en matière de parts de marché (moins de 10 %, le plus faible résultat depuis 2002). Or, le succès monstre de De père en flic vient de changer la donne.

En tête du box-office à sa quatrième semaine à l'affiche, la comédie policière d'Émile Gaudreault a déjà engrangé près de 6 millions. Et il n'est pas impensable d'envisager pour le film des recettes totales de 7 ou 8 millions. Alors que la plupart des superproductions misent essentiellement sur un premier week-end d'exploitation fort, la popularité de De père en flic ne se dément pas. Le film conserve ses écrans (environ 120) et son public, profitant d'un bouche-à-oreille favorable, la clé de tout succès populaire.

Selon Cinéac, De père en flic sera vraisemblablement sacré champion, toutes nationalités confondues, du box-office estival 2009 au Québec, devant Harry Potter et tous ses amis. Il devrait trouver sa place, en fin de parcours, parmi les cinq films québécois les plus populaires de tous les temps.

Ce n'est pas un détail. Car l'embellie tombe à point. L'industrie du cinéma souffre d'une morosité collective depuis plusieurs mois. Le simple fait du succès de De père en flic permet d'espérer une première croissance de la fréquentation du cinéma québécois depuis 2005, l'année record (plus de 18 % de parts de marché) des C.R.A.Z.Y., Aurore, Horloge biologique et autres Maurice Richard.

D'autant plus que Les doigts croches, charmante comédie de Ken Scott (le scénariste de Maurice Richard et de La grande séduction) prend l'affiche vendredi. Ce road movie amusant et lumineux est à l'image non pas de l'été, mais du regain de vie du box-office québécois. Sans prétendre au succès de De père en flic, dont il ne partage pas l'humour franc, on verrait bien Les doigts croches amasser 2 millions de recettes. Une prédiction personnelle sans fondement scientifique.

Le succès de cette nouvelle comédie québécoise risque-t-il d'être compromis par celui, foudroyant, de De père en flic? Le contraire est plus probable, m'explique Simon Beaudry, spécialiste du box-office québécois et président de Cinéac. Les deux films sont complémentaires. Plutôt que de nuire aux Doigts croches, le succès de De père en flic risque de créer un «effet d'entraînement» favorable premier long métrage de Ken Scott.

Le phénomène transcende les nationalités. La popularité de De père en flic, par exemple, n'a pas été entamée le moindrement par l'arrivée sur une multitude d'écrans de Harry Potter et le prince de Sang-Mêlé. «Il y a énormément de titres qui prennent l'affiche simultanément, constate Simon Beaudry. On parle d'un marché en expansion. Au lieu de se cannibaliser, les films profitent du succès des uns et des autres. Il n'y a pas eu de transfert des spectateurs de De père en flic vers Harry Potter. Il y a plutôt eu un ajout de spectateurs.»

En 2008, seulement quatre films québécois ont fait des recettes de plus de 1 million de dollars. Le champion du box-office, Cruising Bar 2, en a engrangé environ 3,5 millions, beaucoup moins que ce que son distributeur Alliance Vivafilm avait espéré. Déjà, 2009 compte quatre films millionnaires: Dédé à travers les brumes (1,7 million), Polytechnique (1,6 million), À vos marques... Party! 2 (1,4 million) et De père en flic (5,8 millions).

«Étant donné le volume de production limité du Québec (environ 20 longs métrages par année), quatre ou cinq titres font la différence entre une année moyenne et une année de succès», rappelle Simon Beaudry. L'expert souligne que les parts de marché du cinéma québécois sont en outre tributaires de la performance du cinéma américain, principal concurrent pour les écrans de la province. Pour l'instant, l'été pluvieux semble profiter à toutes les cinématographies, peu importe leur nationalité.

Si quatre ou cinq titres peuvent faire la différence, un film québécois peut à lui seul faire basculer le marché. Bon Cop, Bad Cop a établi un nouveau record au box-office pour un film québécois: 10,6 millions. Rien de moins que la moitié des recettes totales du cinéma québécois en 2006. Sans le film d'Érik Canuel, les parts de marché du cinéma québécois n'auraient été que de 6 %. «Pour qu'un film québécois ait un box-office fort, précise Simon Beaudry, il faut impérativement qu'il ait du succès en région.» À ce jour, 87 % des recettes de De père en flic ont été réalisées à l'extérieur de l'île de Montréal.

Malgré un été prometteur, il est encore trop tôt pour déterminer si 2009 sera une réelle «année de succès» pour le cinéma québécois. Plusieurs films doivent prendre l'affiche d'ici à la fin décembre, dont certains ont un réel potentiel populaire: 1981, de Ricardo Trogi (Horloge biologique), Pour toujours, les Canadiens! de Sylvain Archambault (Les Lavigueur), 5150, rue des Ormes d'Éric Tessier (Sur le seuil), Les sept jours du talion, de Podz (Minuit, le soir)...

Dans le lot, il y aura les inévitables fours (Cadavres) et les succès-surprises (J'ai tué ma mère: 750 000 $). Et surtout, au-delà des chiffres, de vrais bons films. C'est ce qui importe le plus, non?