Le contraste était frappant. Une demi-heure après avoir assisté, dans une atmosphère un peu pépère, à l'avant-première de Funny People, la nouvelle offrande de Judd Apatow, je me suis retrouvé dans un autre monde, pour le moins plus délirant.

Mercredi, en toute fin de soirée, Fantasia vivait l'un des plus gros trips de son existence en offrant à ses fidèles admirateurs la toute première présentation publique d'Inglourious Basterds en sol canadien. Décrire l'état d'extase dans lequel se trouvaient ceux qui ont mis à peine 23 minutes pour fermer le guichet de cette projection tient du pari impossible à relever. Je dirais qu'on entre ici dans une dimension située quelque part entre le nirvana, le spasme orgasmique et l'hyperventilation.

Une ambiance de concert rock pour un film déjanté, orchestré par dieu Tarantino lui-même. Qui, a-t-on annoncé à plein volume avec l'appui d'un meneur de claques, a insisté pour que les ouailles fantasiennes puissent s'abreuver à sa propre fontaine d'hémoglobine. Eli Roth, protégé du maître et star à part entière (la mention de Cabin Fever a provoqué une salve d'applaudissements émus), a rehaussé la soirée de sa présence, se prêtant même à une séance de questions-réponses avec le public après la projection. La journée de jeudi affichait alors déjà une heure au compteur...

 

Le mot triomphe revêt ici l'allure d'un euphémisme. Le toit du théâtre Hall se soulevait chaque fois qu'un nom apparaissait au générique. Chaque effusion de sang, chaque scalp était accueilli par des cris, des bravos, des rires sonores et des applaudissements nourris. Les fans ont aussi réservé à Roth - il visionnait le film avec nous - un traitement de rock star dès qu'il se manifestait à l'écran. Les principes du kosher porn qu'avait évoqués l'acteur à Cannes - la revanche des Juifs sur les nazis - ont trouvé à Fantasia un écho retentissant. L'auditoire était effectivement bien excité...

À cet égard, j'aurais bien de la difficulté à déceler les changements qu'a faits Tarantino depuis la présentation cannoise il y a quelques mois. En revanche, j'ai quand même pu constater que la nouvelle version, semblable dans sa durée, mais différente dans son montage, était mieux resserrée et beaucoup plus efficace. Nous aurons évidemment l'occasion de revenir sur le film au cours des prochaines semaines.

Fort d'un succès qui ne se dément pas auprès des amateurs de films de genre, Fantasia se trouve maintenant, après 13 ans d'existence, «à la croisée des chemins». C'est ce que m'a raconté hier le directeur Pierre Corbeil en traçant le bilan de son festival, lequel a attiré cette année autant de spectateurs que l'an dernier, soit un peu plus de 90 000. Se débrouillant avec les moyens du bord pendant plusieurs années, Fantasia obtient depuis quatre ans une aide gouvernementale d'environ 150 000 $, tous ordres inclus. «Il faudrait davantage de moyens si on veut que Fantasia conserve sa position de leader dans les festivals de cinéma de genre en Amérique du Nord, explique le directeur. Notre ambition est de faire de ce festival un rendez-vous incontournable pour tous les intervenants de l'industrie. On ne peut toutefois pas inviter ces gens-là avec le budget dont nous disposons. Là, on plafonne. Pourtant, Montréal pourrait véritablement se distinguer en occupant un créneau qui, pour l'instant, est encore vacant. Une occasion comme celle-là ne se présente pas souvent. Si l'on ne fait rien, d'autres, ailleurs, occuperont la place. Le festival Toronto After Dark commence d'ailleurs à jouer sur le même terrain que nous.»

Une dévotion sans mesure

Le caractère spécifique d'un festival comme Fantasia représente indéniablement une valeur ajoutée et contribue à son rayonnement. Paradoxalement, il constitue aussi sa limite. Oui, le cinéphile «non amateur» pourra accidentellement trouver son compte au fil d'une programmation qui s'est passablement élargie au cours des dernières années. Mais à mon humble avis, Fantasia reste un festival rassembleur pour initiés. Ces derniers sont non seulement assez nombreux pour tenir ce festival à bout de bras, mais leur dévotion est sans mesure.

Et puis, Fantasia a beau stimuler les milieux de création québécois et mettre de l'avant des films de genre produits chez nous, il reste que le français est une langue à peu près absente de sa programmation. La proportion de longs métrages de langue française - ou internationaux sous-titrés en français - présentés à Fantasia dépasse à peine 10 %. Il convient toutefois de préciser que le facteur linguistique n'a strictement aucune pertinence aux yeux d'un public jeune et très majoritairement bilingue.

«Idéalement, il est certain que nous voudrions proposer des films sous-titrés dans les deux langues, explique Pierre Corbeil. Mais nous en revenons encore à la question du financement. Avec l'arrivée des nouvelles technologies, nous pourrons probablement un jour les offrir sans devoir investir de très grandes sommes. Pour l'instant, il en coûterait trop cher pour produire des sous-titres ne servant que pour quelques séances, la plupart de ces films n'étant pas distribués en salle par la suite. Certains festivals ayant lieu dans d'autres pays francophones, le Festival du film fantastique de Bruxelles, par exemple, présentent leurs films avec des sous-titres français, mais ils disposent de budgets beaucoup plus importants que le nôtre.»

Les sommes allouées par les institutions aux festivals de cinéma restant les mêmes, une augmentation de subsides pour l'un résulterait inévitablement en manque à gagner pour l'autre. D'où l'impasse dans laquelle plusieurs manifestations appelées à croître se trouvent présentement, selon Corbeil. «Nous ne voulons évidemment rien enlever à personne. Ce serait absurde. Mais je crois que nos gouvernements devraient songer sérieusement à investir davantage parce que, de notre côté, nous ne pouvons pas atteindre notre plein potentiel. Nous ne sommes plus le petit festival de geeks que tout le monde trouvait sympathique au début. En 13 ans, nous avons quand même évolué, il me semble!»

Fantasia deviendra-t-il un jour le point de rencontre de tous les initiés du monde entier? Avec dieu Tarantino de son côté, il se pourrait que ce voeu soit finalement exaucé.