Il n'y a pratiquement jamais de polémique au Festival de Toronto. Ah si. C'est vrai. Il y a deux ans, Sean Penn a dû payer une amende pour avoir osé en griller une à l'intérieur des murs d'un grand hôtel. La loi, c'est la loi. Pour tout le monde.

Le TIFF 2009 a pourtant été lancé la semaine dernière dans un climat de controverse. La raison? Le choix d'inaugurer la nouvelle section «City to City» en braquant les projecteurs sur 10 films provenant de Tel-Aviv. Le cinéaste canadien John Greyson (Lilies - Les feluettes) a sonné l'alarme le mois dernier en retirant son plus récent documentaire de la programmation du festival en guise de protestation.

D'autres voix se sont élevées. Parmi lesquelles celles de Viggo Mortensen, Noam Chomsky, Julie Christie, Jane Fonda et bien d'autres. Ces gens ont vu dans l'initiative du TIFF une volonté délibérée de cautionner une campagne «propagandiste» du gouvernement israélien ayant pour titre «Brand Israel». Ils dénonçaient du même souffle l'absence de voix palestiniennes dans ce programme, surtout dans la foulée des récents bombardements à Gaza.

Au fil des jours, le ton est monté. Le débat s'est envenimé au point de se transformer en une guerre de mots. Les procès d'intentions se sont multipliés. Le producteur Robert Lantos (Eastern Promises) a écrit une lettre ouverte virulente pour dénoncer à son tour les actions des opposants. David Cronenberg a pris publiquement la même position que son producteur. Mardi, une bonne partie de la une du Toronto Star était consacrée à l'affaire, les photos des «pros» d'un côté; celles des «contre» de l'autre. Jerry Seinfeld, Natalie Portman, Sacha Baron Cohen, Lisa Kudrow à droite; Harry Belafonte, Naomi Klein et d'autres célèbres protestataires à gauche.

«Nous n'avons jamais réclamé un boycottage», a déclaré Greyson au cours d'une conférence de presse tenue au début de la semaine, à laquelle participait aussi le cinéaste palestinien Elia Suleiman (Intervention divine). «Nous n'avons pas besoin d'une autre liste noire», pouvait-on en revanche lire en gros titre dans une publicité publiée sur une pleine page, commanditée par le UJA Federation of Greater Toronto, conjointement avec la Jewish Federation of Greater Los Angeles.

Dans une déclaration officielle, la direction du Festival assume pleinement son choix. Et souhaite plutôt susciter la discussion. «Nous avons instauré ce programme afin que les spectateurs puissent connaître Tel-Aviv selon les points de vue de cinéastes qui vivent et travaillent là-bas, y compris ceux qui posent un regard critique sur le statu quo.»

Même si leur action découle très certainement d'un noble sentiment, j'ai quand même l'impression que les protestataires ont tiré des conclusions un peu hâtives. Une voix d'artiste tue est toujours un silence de trop. Eux, mieux que quiconque, devraient le savoir. Et faire attention. Les cinéastes israéliens, vexés au passage, ne sont pas les porte-parole de leur gouvernement. Amos Gitai (Free Zone) et Ari Folman (Valse avec Bachir), pour ne nommer que les plus célèbres, le montrent bien.

Ironie du sort, le jury du Festival de Venise, présidé par le cinéaste Ang Lee, a attribué samedi dernier le Lion d'or à Lebanon, un film israélien réalisé par Samuel Maoz. Ce drame, qui dénonce les horreurs de la guerre du Liban au début des années 80, a été sélectionné au TIFF dans la section «Visions» plutôt que dans «City to City». Qu'à cela ne tienne, la victoire de Lebanon à la Mostra a rendu le débat torontois un peu caduc. Certains n'y ont finalement vu qu'une tempête dans un verre d'eau.

L'ampleur du débat démontre en tout cas bien à quel point le Festival de Toronto rayonne sur la scène internationale. Tout le contraire du FFM. Qui a impunément pu présenter à sa soirée de clôture un indéfendable film de propagande chinois, The Everlasting Flame: Beijing Olympics 2008.

Si le festival montréalais avait encore la moindre pertinence médiatique à l'extérieur de nos frontières, nous serions probablement aujourd'hui en mode de gestion de crise, dépassés par l'ampleur du scandale. Nous en serions encore à mesurer l'ampleur de notre honte.

Le prochain Slumdog...

À Toronto, cela frôle l'obsession. On se fait ici une gloire de paver la voie à la prochaine course aux Oscars. On cherche le titre qui pourra se faufiler jusqu'au bout, comme l'a fait Slumdog Millionaire l'an dernier. Présenté au TIFF, où il a obtenu le prix du public, le film cendrillon de Danny Boyle, qui ne devait même pas bénéficier d'une sortie en salle, a pratiquement raflé toutes les statuettes quelques mois plus tard.

Plusieurs collègues journalistes torontois s'amusent ces jours-ci à faire leurs prédictions. Leur verdict? Parmi les films présentés au TIFF, les plus susceptibles d'être invités au grand bal hollywoodien sont Up in the Air de Jason Reitman, Capitalism: A Love Story de Michael Moore, A Single Man de Tom Ford, et... Chloe d'Atom Egoyan. Hum. Va pour les premiers titres, mais Chloe? Vraiment? Je ne parierais pas un petit deux canadien là-dessus.