Près de six mois après la fermeture des deux principales salles de cinéma du complexe Ex-Centris, qui lançait cette semaine une nouvelle programmation essentiellement musicale, le bilan est sombre pour la diffusion du cinéma d'auteur étranger à Montréal.

L'impact de la fermeture des salles d'Ex-Centris est plus important que ce qui avait été anticipé par les observateurs. «Je suis surpris par la virulence de la diminution de l'achalandage (des films d'auteurs internationaux), déclare Charles Tremblay, président de Métropole Films, l'un des principaux distributeurs de titres étrangers au Québec (La graine et le mulet, De l'autre côté, Entre les murs). La cinéphilie a le drapeau en berne. La disparition d'Ex-Centris, c'est plus qu'une salle qui ferme. Ex-Centris avait un pouvoir d'attraction que nous avons sous-estimé.»

«Les répercussions sont plus grandes que ce que l'on avait cru au départ, constate, lui aussi, Simon Beaudry, président de Cinéac, qui analyse le box-office québécois. Ex-Centris était un espace-phare, qui comptait pour 40% à 50% des recettes totales du cinéma étranger plus pointu à Montréal.»

Depuis la fin des activités de diffusion conventionnelle d'Ex-Centris (qui abrite temporairement le cinéma Parallèle) le printemps dernier, les films d'auteurs internationaux ont connu une baisse de popularité considérable. «Les recettes des films étrangers, distribués par nous comme par nos compétiteurs, sont au demi, voire au quart de ce qu'elles étaient il y a un an», remarque Charles Tremblay.

Du 1er mai au 10 septembre, le cinéma français n'a compté que pour 1% du box-office total du cinéma projeté en salles au Québec, selon les statistiques dévoilées cette semaine par Cinéac. «C'est un résultat particulièrement faible», constate Simon Beaudry. «Depuis février, il n'y a que L'empreinte de l'ange qui a connu un certain succès. Tous les autres films français ont eu des carrières en deçà des attentes», se désole Ariane Giroux-Dallaire, responsable de la distribution chez Métropole.

On s'inquiète depuis longtemps de la baisse de popularité chez nous du cinéma français, dont le box-office oscille, bon an mal an, entre 4% et 6% des recettes totales au Québec. «C'est un problème structurel depuis une quinzaine d'années, lié à plusieurs facteurs», explique Simon Beaudry.

Si elle ne peut être seule mise en cause, la fermeture des salles de cinéma d'Ex-Centris n'améliore certainement pas la situation.

D'autant plus que les cinémas Beaubien et du Parc, perçus comme des lieux de diffusion complémentaires au complexe du boulevard Saint-Laurent, n'ont pu combler le manque à gagner, et que d'autres salles, comme le Quartier latin, qui auraient pu se donner un nouveau mandat «international», n'ont pas trop investi ce créneau.

Les amateurs de films d'auteurs étrangers sont en quelque sorte laissés pour compte. L'offre cinématographique internationale s'appauvrit et les distributeurs, échaudés par les échecs commerciaux des derniers mois, sont moins enclins à prendre des risques en achetant des films exigeants qui ne trouvent plus leur public. «Les distributeurs sont beaucoup plus prudents», constate Simon Beaudry.

«L'impact de cette situation fragile se fait sentir non seulement chez les distributeurs québécois, qui sont plus craintifs, mais chez les vendeurs internationaux, comme MK2, qui vendent moins de films au Québec», a remarqué Caroline Masse, directrice générale du cinéma Parallèle, cette semaine au Festival international du film de Toronto.

«Des films magnifiques ne sont plus vus, dit-elle. La cinéphilie est un peu triste. Ex-Centris n'était pas un cinéma comme les autres. C'était un déclencheur d'acquisitions, ce que ne sont pas le Beaubien ou le cinéma du Parc. On achetait des films parce qu'ils pouvaient être diffusés à Ex-Centris. On nous enviait à l'étranger d'avoir de telles installations.»

Disparition d'un sanctuaire

Le cinéma Parallèle lui-même a connu un «été morose» depuis la fermeture des autres salles d'Ex-Centris, en rénovation depuis mai. Les recettes ont chuté, malgré le mauvais temps et les bonnes critiques. La petite salle espère profiter d'un regain de ses activités grâce à la nouvelle vocation du complexe.

L'équilibre précaire de la cinéphilie a été mis à rude épreuve lorsque Daniel Langlois a décidé de réorienter la mission d'Ex-Centris en janvier dernier. Les observateurs avaient envisagé un léger ressac, mais pas le recul considérable des derniers mois. Davantage que la perte d'un lieu de diffusion du cinéma d'auteur en français, la fermeture des salles d'Ex-Centris a provoqué une rupture avec nombre de cinéphiles montréalais qui, plutôt que de fréquenter d'autres salles, ont réduit leur fréquentation du cinéma.

Il faut dire qu'Ex-Centris offrait des conditions de projection idéales, avec des équipements dernier cri, sans les artifices, barils de pop-corn, arcades de jeux vidéo et autos tamponneuses des complexes multisalles. Ex-Centris était un sanctuaire du cinéma de qualité, où les cinéphiles se rendaient religieusement et régulièrement, à la faveur d'un film précédé d'une bonne critique ou sur la seule réputation de rigueur et d'excellence de la programmation.

L'impulsion donnée au cinéma d\'auteur par l'ouverture d'Ex-Centris ne saurait être sous-estimée. Un goût s'est développé dans le grand public cinéphile pour un cinéma original, qui profitait à tous, pas seulement à Ex-Centris. Plus on voit de bons films, plus on a envie d'en voir. Que ce soit à Ex-Centris, au Beaubien, au Parc ou au Quartier latin.

Jeudi, l'Observatoire de la culture de l'Institut de la statistique du Québec révélait que le taux d'occupation des salles de cinéma québécoises était à son plus bas depuis 25 ans (11,4%) en 2008. Pendant ce temps, l'achat d'écrans plasma monte en flèche. L'avenir ne semble pas rose pour les salles de cinéma.

Heureusement, le projet du nouveau cinéma Parallèle, menacé cette semaine, devrait être approuvé lundi par le conseil municipal. Ce complexe de quatre ou cinq salles, prévu pour l'automne 2011 autour du métro Saint-Laurent, compte poursuivre la mission originale d'Ex-Centris. «Il est vital que le projet du Parallèle voie le jour, croit Charles Tremblay. La cinéphilie sera très sérieusement menacée s'il n'y a rien qui prend le relais d'Ex-Centris à moyen terme.» En effet.