Le cinéma québécois ne saura jamais assez remercier Quebecor. Pourquoi? Pour avoir eu la brillante idée de, progressivement, restaurer et numériser 800 films québécois et de les rendre disponibles 24 heures sur 24 au public de Vidéotron abonné à Illico.

Pour l'instant, une quarantaine de films ont été restaurés et numérisés, mais d'ici cinq ans, la presque totalité de notre patrimoine cinématographique devrait y passer. L'idée est tellement belle, qu'au départ je n'y ai pas cru. J'ai même soupçonné ce noble projet judicieusement baptisé «Éléphant, mémoire du cinéma» par Claude Fournier, d'être un vulgaire truc de marketing pour aider la machine Quebecor à imprimer de l'argent, encore plus d'argent. Mais non!

Hormis une petite somme prélevée pour les frais d'administration, l'ensemble des revenus générés par le projet «Éléphant, mémoire du cinéma» sera versé aux associations d'acteurs, de réalisateurs, de scénaristes et de producteurs. Bravo!

Le cinéma québécois peut dire merci à Quebecor et à sa mémoire d'éléphant. Merci surtout d'avoir eu le tact et l'élégance de ne pas coller l'étiquette Quebecor sur le front de l'éléphant ou, pis encore, d'avoir imaginé un titre comme la mémoire du cinéma Quebecor.

On aimerait en dire autant pour la Louve d'or, la plus haute distinction accordée chaque année par le Festival du nouveau cinéma (FNC) à un jeune cinéaste qui en est à sa première, deuxième ou troisième oeuvre. Or, pour la première fois de son histoire, la Louve d'or, qui sera décernée le 17 octobre prochain, portera un titre aussi gros qu'un éléphant: la Louve d'or-Quebecor. Tout cela pour la modeste somme de 15 000 $, que Quebecor versera au gagnant. Comme quoi il y en a qui se vendent pour pas cher.

La logique dans des cas comme celui-ci est toujours la même: flatter le commanditaire dans le sens du poil en lui accordant une place de choix au sommet de la marquise et partout ailleurs. Pour ce qui est des justifications, les commandités invoquent souvent le principe du donnant-donnant. Ou alors ils imputent leur complaisance à l'égard du commanditaire, à l'époque, à la récession ou à l'effet d'entraînement. Tout le monde le fait, on serait fous de ne pas le faire nous aussi, non?

Comme les organisateurs du FNC nous l'apprenaient hier, Quebecor ne fait pas que commanditer la Louve d'or. La société a accepté d'être le principal commanditaire du festival. Rien à redire à ce sujet-là.

Depuis ses déboires avec le mécène Daniel Langlois, le FNC avait désespérément besoin d'un sauveur. Quebecor a répondu à l'appel en fournissant aussi bien de l'argent sonnant que des services techniques et publicitaires. C'est tout à son honneur.

En revanche, ce qui est moins à l'honneur de Quebecor, c'est de ne pas se contenter de l'excellente visibilité que le FNC va lui apporter pendant les 10 jours du festival. C'est d'en vouloir encore plus pour son argent. C'est d'exiger non seulement d'avoir son nom au sommet de l'affiche, mais gravé en grosses lettres dans le grain et dans l'esprit même du plus important trophée.

Imaginez si le Festival de Cannes succombait à pareil marchandage. Imaginez la Palme d'or Moët et Chandon ou pourquoi pas la Palme d'or Danone. Et une fois parti, pourquoi est-ce que le Festival du film de Berlin ne décernerait pas un Ours d'or Mercedes-Benz et un Ours d'argent Hugo Boss?

Bien entendu, je fabule, car jamais ces festivals n'accepteraient pareil asservissement. Pourquoi n'est-ce pas le cas chez nous? Pourquoi, au Québec, les commandités s'empressent-ils toujours de faire des courbettes aux commanditaires? Pourquoi leur font-ils des cadeaux que les commanditaires n'ont parfois même pas demandés?

Les temps sont-ils si durs dans le monde de la culture d'ici que tout soit à vendre y compris l'âme d'une Louve d'or autrefois farouche et indépendante, aujourd'hui condamnée à faire une mauvaise rime avec Quebecor?

Je l'ai déjà écrit. Je le répète. Ce n'est pas parce qu'une société commandite un événement culturel qu'on doit lui permettre de mettre ses grosses pattes partout ni l'encourager à se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un peu d'indépendance, messieurs dames les commandités.

Plus vous tiendrez l'éléphant à distance, plus il respectera la louve libre en vous.

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En parlant de prix, le FNC devrait profiter de sa 38e présentation pour faire oeuvre sociale et décerner la Louve d'étain de l'oubli aux 253 lock-outés du Journal de Montréal.

Le 17 octobre prochain, cela fera exactement huit mois et 23 jours que les lock-outés ont été jetés à la rue, qu'ils ont glissé entre les fentes du trottoir et qu'ils ont disparu des écrans radar sans que personne, même pas la centaine d'artistes et de poètes du Moulin à paroles, se soucie d'eux.

Un prix, même un prix en étain, s'impose. Reste à trouver le commanditaire...