Michael Moore s'attaque de front au capitalisme. Capitalism: A Love Story, qui doit prendre l'affiche vendredi, est l'aboutissement de 20 ans d'un cinéma engagé, depuis Roger&Me, à dénoncer les dérives d'une société américaine sans compassion pour les laissés-pour-compte. La méfiance d'une majorité d'Américains à l'égard de l'universalité des soins de santé en est la plus récente démonstration.

Comme Sicko, son plus récent film, qui traitait justement de ces dizaines de millions d'Américains sans assurance médicale, Capitalism: A Love Story est une variation sur le thème fétiche de Michael Moore, les conséquences désastreuses du capitalisme sauvage. Un Profit Over People de Chomsky à la sauce Moore: narration ironique, images d'archives très riches, reportages et entrevues intercalés dans un documentaire tragi-comique d'une redoutable efficacité, à pleurer et à crouler de rire.

On le souligne trop rarement: le montage de ses films donne toute sa personnalité au cinéma, fait de contrastes et d'effets comiques, de Michael Moore. Aussi, on s'amuse beaucoup d'entrée de jeu à ce parallèle établi entre l'Empire romain en déliquescence (images d'un vieux film historique destiné à des étudiants) et l'Amérique désolante de l'ère Bush fils (dont «l'empereur» serait Dick Cheney, selon Moore).

Le cinéaste s'intéresse en particulier cette fois-ci à tous ces Américains qui ont perdu récemment leur maison, floués par des institutions pratiquant des taux usuriers (qu'il assimile à la mafia). Il s'attaque aussi aux jeux de coulisses politiques ayant mené au scandale des primes aux cadres de grandes entreprises, à même l'argent des contribuables.

«Il n'y a plus de juste milieu entre ceux qui ont tout et ceux qui n'ont rien», déplore un homme qui vient d'être évincé de sa maison. En revanche, un «vautour» de l'immobilier floridien se réjouit des occasions d'affaires que représentent toutes ces résidences saisies par la justice.

Michael Moore retrace les premiers réels dérapages du capitalisme américain aux années au pouvoir de Ronald Reagan, perçu par le documentariste comme un pantin des grandes entreprises à la Maison-Blanche. «Pour la justice et la dignité, rien de mieux que le capitalisme», dira plus tard son fils spirituel, George W. Bush.

Moore, on s'en doute, n'est pas de cet avis. Sa charge anticapitaliste est cinglante, drôle et rafraîchissante, dans un univers médiatique américain où la question du modèle économique semble faire consensus. Les exemples dont il se sert pour illustrer son propos sont souvent éloquents, comme ces histoires d'assurances-vie prises par des entreprises au nom d'employés, sans égard aux familles endeuillées.

L'auteur de Bowling for Columbine cherche - et réussit - à émouvoir, parfois au détriment d'une certaine retenue. Il frôle en quelques occasions le sensationnalisme et la démagogie. On regrettera sa thèse forcée - et superflue - sur l'antinomie entre chrétienté et capitalisme. «Le capitalisme est un péché», dit un prêtre. «Il est immoral», déclare un autre. Lorsque sa mission prend des airs messianiques, la parole de Moore porte moins. D'autant plus qu'il prêche déjà aux convertis.

Le plus célèbre des documentaristes a beau être un pamphlétaire manichéen prompt à quelques raccourcis intellectuels, il a beau être un manipulateur racoleur qui tourne les coins ronds, s'éparpille et ne s'embarrasse d'aucun scrupule, il a beau offrir, en toute mauvaise foi, une vision étriquée de la réalité (celle qui, évidemment, sert le mieux son propos), Michael Moore reste essentiel. Ne serait-ce qu'en contrepoids aux démagogues de droite, les Rush Limbaugh et autres crétins à la Glenn Beck, qui polluent actuellement les ondes télévisuelles et radiophoniques.

Sa démarche n'est pas celle d'un journaliste, soucieux de livrer une information équilibrée, mais celle d'un cinéaste engagé, conscient du pouvoir des images. Il faudrait être fleur bleue (ou lui rendre sa mauvaise foi) pour lui reprocher son parti pris, même s'il aurait sans doute intérêt à être plus nuancé.

Les intentions de Michael Moore, comme toujours, restent nobles. Il en veut en particulier aux grosses légumes de Wall Street, ce «casino insensé», et aux politiciens corrompus qui ont profité de la crise financière afin de s'enrichir au détriment de la population. Il les accuse d'avoir bradé les valeurs américaines et d'avoir bafoué l'essence même de la démocratie.

«Je refuse de vivre dans un tel pays. Et je ne suis pas près de partir», annonce le cinéaste, dont le film est aussi une ode au syndicalisme et un hommage à toutes ces entreprises qui osent revoir à petite échelle le modèle capitaliste traditionnel.

La puissante charge de Moore se fait inspirante et émouvante, au final, lorsqu'il est question du rêve de Franklin D. Roosevelt, mort avant d'avoir pu réaliser son «deuxième Bill of Rights». FDR souhaitait garantir à tous les Américains un travail convenablement rémunéré, à des conditions décentes, ainsi qu'une éducation et un accès à des soins de santé gratuits. Les États-Unis, même à la lueur de l'espoir de l'élection de Barack Obama, en sont encore cruellement loin.