Luc Picard, en Chevalier de Lorimier condamné à mort, enlace une dernière fois Sylvie Drapeau sur le sol froid de sa geôle. L'adieu déchirant des amoureux. Un plan, aux teintes d'ocre et de marron, d'une infinie beauté. L'une des grandes scènes du cinéma québécois.

Julien Poulin, en prisonnier Boyer envoyé au «trou», pleure ses dernières larmes de rage. Sa blonde l'attend en vain. Il ne viendra pas. Sur scène, Lou Babin chante Le coeur est un oiseau, de Richard Desjardins, l'âme brisée, la voix chancelante de désespoir, pendant que son chum se tranche les veines. «Liberté, liberté, liberté!» crie-t-elle avant de s'écrouler, à bout de force. J'en ai encore des frissons.

Pierre Rivard, en jeune felquiste, le t-shirt maculé du sang de Pierre Laporte, s'abandonne au doute, à la panique et au désespoir. Le temps d'un regard, d'un rictus, d'un cri, captés subtilement par la caméra.

Pierre Falardeau était un artiste. Un cinéaste d'une grande acuité, d'une grande humilité aussi, d'une évidente intelligence, d'une sensibilité à fleur de peau. Un metteur en scène de talent, qui a marqué le cinéma québécois bien au-delà de ses coups de gueule erratiques et de ses prises de position équivoques des dernières années.

Je préfère me souvenir de l'humour grinçant et cinglant d'Elvis Gratton première mouture, de la charge caustique et rafraîchissante du Temps des bouffons, de la fougue des documentaires de jeunesse (avec Julien Poulin). Je préfère me souvenir du cinéaste unique et singulier, soucieux du détail et du propos, plutôt que du pamphlétaire hargneux, caricatural et aigri qui distribuait son fiel à grandes lampées d'une langue trop longtemps trempée dans le vinaigre, à la fin de sa vie.

Pierre Falardeau a laissé sa monomanie prendre le pas sur son oeuvre de cinéaste. Son dernier film valable datait d'il y a presque 10 ans. Il avait porté ce remarquable 15 février 1839 à bout de bras, contre vents et marées, malgré l'opposition politique et les tentatives de censure. L'artiste en a bavé, film après film, essuyant refus après refus. Le polémiste enragé a pris le relais. L'appel des sirènes, et sans doute une certaine lassitude dans son combat contre les institutions, lui ont fait perdre son temps (et le nôtre) avec deux suites, indignes de son talent, d'Elvis Gratton.

De poil à gratter essentiel de l'ordre établi, du pouvoir politique et économique en place, Pierre Falardeau était devenu depuis, à force de dérapages autour d'un discours manichéen resté figé dans une autre époque, le symbole d'une génération d'ultranationalistes amers. Nombre d'indépendantistes modérés (j'en suis) ne se reconnaissaient pas dans son discours de plus en plus réactionnaire et intolérant. Le cinéaste ne tournant plus, l'équilibre entre l'artiste et le polémiste était rompu.

Aveuglé par ses délires identitaires, d'une haine à peine dissimulée pour «l'ennemi», le fédéraliste de tout acabit, Pierre Falardeau s'était réjoui, en 2004, en des termes particulièrement odieux, de la mort de Claude Ryan dans un texte intitulé «L'enterrement du Bonhomme Carnaval». «Voilà enfin une bonne chose de faite! Claude Ryan vient de mourir, avait-il écrit à propos de l'ancien chef libéral. Ne reste plus qu'à l'embaumer et à fermer le couvercle. Avec sa belle tête de sous-diacre empaillée et mangée par les mites, il n'aura fait, en mourant, qu'officialiser une situation qui perdurait depuis longtemps.» Falardeau avait conclu: «Salut pourriture».

Je préfère, aujourd'hui, me souvenir de l'artiste sensible et de son cinéma inspiré. De ces scènes d'émotions fulgurantes, de cet amour inconditionnel pour les acteurs, de ces répliques inoubliables. Et penser à tous ces films qui auraient pu exister, si le parcours de l'homme avait été différent. Salut, Falardeau. Repose enfin en paix.