Hier, entre 22 h 50 et 23 h, deux minutes du «point culminant» de 2012, le nouveau film catastrophe de Roland Emmerich, ont été diffusées sur les ondes de pas moins de 146 stations de télévision canadiennes. On espérait ainsi rejoindre 96 % de la population rivée au petit écran à cette heure, soit environ, estime-t-on, 6,7 millions de téléspectateurs.

Maudit. J'étais sous la douche.

J'ai donc raté le «lancement grandiose» de la «plus grande campagne marketing jamais vue», forcément essentielle à ma vie. Et taillée sur mesure pour assurer mon bien-être de cinéphile en manque.

Nous vivons quand même une époque formidable. Ce ne sont plus les films qui font désormais l'événement (Ah? Il y a un film?), mais les méthodes qu'utilisent les grands studios pour mettre en marché leurs superproductions.

Que le «buzz» emprunte une forme virale (Snakes on a Plane, Watchmen) ou qu'il découle de moyens plus classiques (Avatar), tous les efforts sont mis pour créer une rumeur des semaines, sinon des mois avant la sortie d'un film en salle. Ironiquement, le jour de la sortie donne déjà à ces productions un statut de has been instantané. Le titre risque alors de circuler dans les esprits encore une semaine s'il s'agit d'un succès, de deux s'il s'agit d'un triomphe, ou plus du tout pour la plupart d'entre eux...

Du coup, je me suis surpris à rêver du monde parallèle qu'a inventé Ricky Gervais dans The Invention of Lying (à l'affiche aujourd'hui). Les personnages de cette comédie, très réussie dans sa première partie (ça se gâte un peu par la suite), vivent en effet dans une société où la notion de mensonge est complètement inexistante.

Quand quelqu'un affirme quelque chose, vous ne pouvez faire autrement que d'y croire sur-le-champ, étant donné que seule la vérité peut exister. Dans cet univers, une maison pour retraités porte fièrement son nom: «Endroit triste pour vieilles personnes désespérées.» Un établissement où deux amants de passage se donnent rendez-vous s'appelle un «motel cheap où vous pouvez baiser avec quelqu'un qui vous est étranger». Le slogan publicitaire de Pepsi? «Quand il n'y a plus de Coke!»

Qui sait quel slogan on aurait accolé à 2012 dans un tel contexte. Emmerich comptant des films comme Independence Day, Godzilla et The Day After Tomorrow à son actif, il n'est pas dit que le «pitch» aurait été très vendeur. D'autant plus que la blogosphère s'est enflammée au cours de l'été - pas toujours en termes très flatteurs - sur la première - et tonitruante - bande annonce de 2012.

Il ne faut toutefois pas s'étonner des stratégies que mettent au point les grands studios pour frapper l'imagination du spectateur potentiel. Les journaux spécialisés faisaient cette semaine écho à l'une des premières études produites par Stradella Road, une société de recherche fondée par Gordon Paddison, auparavant directeur du marketing chez New Line Cinema (The Lord of the Rings). Les habitudes de fréquentation, cela n'étonnera personne, ont profondément changé, de même que les méthodes qu'utilisent les spectateurs pour aller cueillir l'information sur les différents films à l'affiche. Mais pas autant qu'on pourrait le croire pourtant...

Les spectateurs sondés, 1547 spectateurs assidus et 2305 occasionnels, ont beau utiliser beaucoup les outils du web, il reste que les méthodes traditionnelles ont encore la couenne dure: 73 % de ceux fréquentant une salle de cinéma au moins deux fois par an affirment entendre généralement parler d'un film pour une première fois en voyant une pub à la télé. La bande-annonce en salle suit de près avec un score de 70 %.

Autre donnée intéressante, les amateurs de cinéma passent en moyenne 19,8 heures par semaine à naviguer sur l'internet et regardent 14,3 heures de télévision; 73 % d'entre eux, peu importe leur âge, utilisent les sites de réseautage. Une fois leur curiosité piquée à propos d'un film, 92 % des spectateurs vont chercher plus d'infos sur le web; 62 % consultent les critiques.

Au-delà de tous ces pourcentages et de toutes ces mouvances dans les habitudes du public, les professionnels du cinéma décèlent une note plutôt encourageante: 55 % affirment que l'expérience collective constitue un facteur déterminant dans les choix qu'ils font.

Autrement dit, rien ne remplacera dans leur esprit le plaisir de partager une expérience cinématographique dans une salle en compagnie d'autres spectateurs; 79 % d'entre eux disent par ailleurs voir dans la sortie au cinéma une possibilité d'évasion du quotidien.

En ces temps d'incertitude, voilà des données qui devraient rassurer plusieurs intervenants de l'industrie. Même Roland Emmerich.