La grand-messe annuelle de la cinéphilie est à nos portes. Le Festival du nouveau cinéma s'ouvre mercredi avec la présentation des Dames en bleu, documentaire de Claude Demers sur les admiratrices du crooner Michel Louvain. Voici quelques suggestions parmi les titres les plus attendus de ce 38e FNC, qui roulera jusqu'au 18 octobre.

Étreintes brisées (Pedro Almodovar)

Los abrazos rotos (Étreintes brisées) n'est pas un grand Almodovar. L'intrigue est mince, le scénario conventionnel, la charge émotive mal canalisée, mais cette oeuvre fluide et séduisante porte néanmoins la signature lumineuse de son auteur. L'exubérant Madrilène retrouve une quatrième fois son égérie Penélope Cruz pour ce récit d'un cinéaste, Mateo Blanco, qui perd non seulement la vue, mais aussi la femme de sa vie, dans un accident de voiture. Étreintes brisées, qui propose une mise en abîme de Femmes au bord de la crise de nerfs (renommé Filles et valises ici), traite de jalousie et d'ambition, de création et, bien sûr, de cinéma.

The Time That Remains (Elia Suleiman)

Après Intervention divine, sur l'absurdité du conflit israélo-palestinien, l'acteur-cinéaste Elia Suleiman remet ça, et de belle façon, avec The Time That Remains, portrait autobiographique d'une famille arabe chrétienne de Nazareth, de la fondation d'Israël à nos jours. Cette comédie dramatique joyeusement décalée témoigne, force métaphores et traits d'esprit à l'appui, de la situation absurde des populations palestiniennes en Israël. En quatre temps, de 1948 à 2008, Elia Suleiman rappelle l'histoire de sa propre famille, de son père militant torturé, de son propre exil forcé, de sa mère esseulée à la fin de sa vie. La répétition des effets de mise en scène fait écho au cycle incessant de la violence au Moyen-Orient. La démarche chaplinienne de Suleiman, formidable pince-sans-rire dans un nouveau rôle muet, et les brillants tableaux drolatiques de son film - il franchit le mur de sécurité en faisant un saut à la perche - ne sauraient faire oublier que derrière la comédie absurde se cache un drame absurde.

Antichrist (Lars Von Trier)

Brillant exercice de style, brutal, sulfureux et cauchemardesque, baroque, dense et visuellement splendide, Antichrist est aussi un film dérangeant, d'une violence sordide, qui donne dans la mutilation génitale autant que dans le délire satanique. Une oeuvre sombre, glauque, inquiétante, oppressante, charnelle et impudique où l'on retrouve, poussé à l'excès, le goût prononcé de Lars Von Trier pour la provocation, la prétention, la violence et l'humour noir. Plasticien de génie, Von Trier propose en quatre actes (ainsi qu'un magnifique prologue) la descente aux enfers d'un couple (interprété par Willem Defoe et Charlotte Gainsbourg, d'une magnifique intensité) aux prises avec le deuil de son tout jeune fils.

Polanski (suite et fin)

Parlant de festivals, j'ai chroniqué cette semaine sur l'arrestation de Roman Polanski au Festival du film de Zurich, où l'on devait rendre hommage au cinéaste de 76 ans le week-end dernier. Comme plus d'une centaine d'acteurs, réalisateurs et intellectuels du monde entier, j'ai trouvé honteux que la Suisse se serve d'un festival de cinéma comme «traquenard policier».

Ma chronique ne se voulait d'aucune manière un jugement sur le bien-fondé ou non de l'arrestation de Roman Polanski, 32 ans après le viol d'une fille de 13 ans. Je regrettais seulement les circonstances de cette arrestation, qui bafouent la tradition d'asile (bien ancrée, n'en déplaise à certains) des festivals de films.

Roman Polanski a un chalet en Suisse, où il se rend régulièrement depuis 30 ans. Il y a séjourné trois mois cette année. Fallait-il s'arranger avec le gars des vues pour le piéger spectaculairement dans un festival de films? Je ne le crois pas.

«Je le répète, le viol est un crime odieux, écrivais-je mardi. Le viol d'un mineur est inqualifiable. Ce n'est pas de ça qu'il est question dans cette chronique. Trouver inadmissible qu'un festival de films serve de guet-apens à une opération policière n'est pas un cautionnement d'un acte criminel, quel qu'il soit.»

Il m'a semblé être clair. Pas assez, semble-t-il, pour les quelque 200 lecteurs qui, sur un ton variant entre l'insulte agressive et la menace à mon intégrité physique, m'ont traité dans la foulée de violeur, de pédophile, de nazi et tutti quanti. Dans une longue lettre au Devoir (?), jeudi, le professeur de droit Alain Roy me rend complice «d'une banalisation outrageante des droits de l'enfant». Rien de moins. Un prof (de mon alma mater) qui ne comprend pas ce qu'il lit, voilà qui est rassurant.

Une question aux quelque 200 lecteurs qui m'ont proclamé leur amour inconditionnel cette semaine (et à qui je n'ai pu répondre individuellement): allez-vous aussi traiter de nazis, de violeurs et de pédophiles Fatih Akin, Martin Scorsese, Woody Allen, Darren Aronofsky, David Lynch, les frères Dardenne, Terry Gilliam, Jonathan Demme, Julian Schnabel, Pedro Almodovar, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Wong Kar-waï, Olivier Assayas, Jeanne Moreau, Monica Bellucci, Tilda Swinton, Stephen Frears, Diane Kurys, Tony Gatlif, Asia Argento, Gael Garcia Bernal, Patrice Chéreau, Tonie Marshall, Penélope Cruz, Ludivine Sagnier, Nadine Trintignant, André Téchiné, Paolo Sorrentino, Alexander Payne, Terry Zwigoff, Michele Placido, Claude Miller, Carole Laure et autres Xavier Dolan?

Ils sont tous signataires d'une pétition condamnant les circonstances de l'arrestation de Polanski. Si vous êtes conséquents, vous devriez au moins boycotter leurs films. Dommage: il ne vous restera plus à voir que les navets de Luc Besson. L'avantage, c'est qu'ils ne sont pas difficiles à comprendre. Même pour vous, Me Roy.