Un courriel au bas duquel figure une signature inconnue. Sur un ton agressif, on évoque l'un de mes articles, forcément insignifiant, publié il y a plusieurs mois, soit le jour de la première du film Polytechnique. Du même souffle, l'auteur m'invite à lire un texte qu'il a choisi. «Vous allez voir ce qu'est une «vraie» critique!» affirme fièrement celui qui - il n'est pas le seul, remarquez - confond exposé universitaire, essai théorique et recension dans un journal.

Ce lien m'a mené vers Hors champ, un magazine web que j'aime bien lire de temps à autre, d'autant plus qu'il constitue un lieu de réflexion assez unique en son genre dans le paysage médiatique. Au printemps dernier, les artisans de Hors champ avaient d'ailleurs eu droit à leur Carte blanche à la Cinémathèque québécoise.

André Habib, du département de l'histoire de l'art et des études cinématographiques de l'Université de Montréal, a récemment mis en ligne une analyse dévastatrice du plus récent film de Denis Villeneuve, une «boucherie cinématographique» selon lui. Dans son (très long) texte, il repasse pratiquement chaque plan au rouleau compresseur, remet en question tous les choix esthétiques et éditoriaux du cinéaste et s'interroge sur le sens (ou le non-sens) à donner à ces images trop maniérées pour ne pas être suspectes.

On peut être d'accord ou pas avec la vision du prof, mais sa réflexion est intéressante, principalement quand il aborde la question des courants esthétiques. «Comment ne pas voir, écrit-il, dans l'esthétique trop étudiée du film, son image surfaite, un effet de remplacement, d'effacement de l'événement. Quand le style veut rejouer trop habilement, trop élégamment l'événement (c'est ce qu'ils appellent de la sobriété, un refus du sensationnalisme, comme si c'était la seule alternative) au point de le remplacer, quand l'imagerie se substitue au réalisme, quand le clip (à grands coups de Moby) fait office de mémoire, on est à deux pieds dans ce que Rivette appelait «l'abjection», une «obscénité mémorielle».»

L'ennui, c'est que la démonstration du professeur Habib est entachée d'une évidente mauvaise foi, laquelle prend ici la forme d'attaques gratuites en tous genres, notamment envers les médias (encore eux!). À lire son interminable diatribe (un éditeur, quelqu'un?), force est de constater que le pari de Polytechnique était perdu d'avance à ses yeux.

De un, le film est produit par Maxime Rémillard. «Pourquoi revenir maintenant sur Polytechnique? Parce que l'auteur de ces lignes n'avait pas envie de verser un autre 12 $ dans la caisse des Rémillard pour retourner voir le film», écrit-il.

De deux, Polytechnique est distribué par Alliance Vivafilm. «Le film fut poussé à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes grâce à la locomotive financière d'Alliance et de la SODEC, disons-le.» Sur ce point, il faut bien mal connaître les modes de sélection cannois pour affirmer pareille énormité. Parlez-en à Denis Côté et à Xavier Dolan.

Et de trois: la réalisation est signée Denis Villeneuve, «un cinéaste presque déjà has been». «Cette histoire (lire la sortie du film), écrit-il encore, montre le degré d'aveuglement, d'abrutissement non seulement de la critique (qui a encore une fois fait preuve d'une profonde démission, qui a démontré sa totale incapacité à «lire» et «comprendre» ce que produisait une image, ces images et ces sons), mais des médias en général. Qui ont prouvé une fois de plus que ce qu'un film contient, ce dont il est fait, est absolument secondaire quand vient le temps de créer un «événement cinématographique», voire un débat de société.»

Dommage. La supériorité morale et intellectuelle qu'affiche André Habib, assortie du mépris envers tous ceux qui ont osé penser du bien de ce film (j'en fais partie), discrédite le coeur de sa réflexion. Évoquant un texte qu'André Bazin a écrit il y a près de 60 ans dans Les Cahiers du cinéma, l'auteur a par ailleurs intitulé son réquisitoire «Mortes tous les après-midi». C'est d'ailleurs dans le choix du titre, de même que dans la conclusion de sa charge féroce, que le prof affiche ses couleurs. Il remet en question l'idée même qu'un film inspiré des événements tragiques d'il y a 20 ans puisse exister. Et dénonce violemment au passage la mise en marché qui en découle. Voilà l'élément qui aurait dû amorcer la discussion, pas la conclure.

Les ados au pouvoir

Quand une équipe sportive va mal, qui écope? L'entraîneur. Après avoir connu deux années fructueuses, le studio Universal, aujourd'hui, est en difficulté. Cette semaine, on a mis les patrons dehors pour les remplacer par des gens de marketing. Mandat précis: donner le feu vert à des films qui rapporteront plein de fric, et réduire au minimum le facteur de risque.

La nomination d'Adam Fogelson et Donna Langley à la tête d'un studio comptant notamment la série des «Jason Bourne» dans son catalogue n'annonce rien de bon pour les cinéphiles. Dans la pratique, Universal était à peu près le seul grand studio hollywoodien à investir encore dans des productions destinées à un public plus mûr. Duplicity, State of Play et Public Enemies ayant été des fours au box-office (sans parler des demi-succès à la Funny People), il y a fort à parier qu'on se concentrera désormais sur le public adolescent.

Le cinéma plus adulte - produit par les studios spécialisés - aura-t-il de plus en plus de mal à se rendre jusqu'aux écrans des complexes multisalles? On peut le craindre.