C'était une légende. Une grande gueule au coeur tendre. Une personnalité au mélange irrésistible de charisme, d'ambition et de prétention. Un baveux génial et flamboyant comme on les aime. Brian Clough, Cloughie pour les intimes, fut l'un des plus grands entraîneurs de soccer d'Angleterre, où la «beautiful game» est née.

Sa carrière fulgurante d'avant-centre (251 buts en 274 matchs), d'abord pour son club natal de Middlesbrough puis pour Sunderland (principalement en deuxième division), fut écourtée au début des années 60 par une blessure au genou.

Brian Clough n'a joué que deux matches pour l'équipe d'Angleterre, mais il a marqué à jamais son sport national comme entraîneur. À la tête de Derby County, qu'il a mené au début des années 70 des bas-fonds du classement de la deuxième division à son premier championnat d'Angleterre (s'offrant au passage une demi-finale européenne contre la Juventus de Turin). Et de Nottingham Forrest, vainqueur de deux championnats européens consécutifs, en 1979 et 1980 - un exploit toujours inégalé par un club anglais -, après un parcours quasi identique à celui de Derby.

Précision: ceci est bel et bien une chronique de cinéma. The Damned United, premier long métrage pour le cinéma de Tom Hooper, scénarisé par Peter Morgan (The Queen, The Last King of Scotland, Frost/Nixon) d'après le best-seller de David Peace, relate le parcours atypique du tacticien surdoué que fut Brian Clough. Le film, qui doit prendre l'affiche vendredi prochain, s'intéresse en particulier au séjour malheureux de Clough comme entraîneur de Leeds United en 1974.

Fort de son succès phénoménal avec Derby County, dont il fut renvoyé pour insubordination, Brian Clough accepta le poste d'entraîneur-chef de Leeds United, champion en titre d'Angleterre. Il avait pourtant dénoncé vertement les tactiques cyniques de Leeds et de son manager, Don Revie. À Elland Road, le stade de Leeds, on pouvait à l'époque confondre les matches de soccer et de rugby, tellement l'aspect rugueux du jeu était mis en valeur. Coups mesquins, tacles dangereux, bagarres: le soccer anglais des années 70 n'était pas toujours beau à voir. Jonathan Roy n'a rien inventé.

En succédant à son rival Revie, devenu sélectionneur de l'équipe d'Angleterre, Brian Clough a voulu casser le moule agressif de l'équipe championne, détestée partout au pays, dont il avait héritée. Jetez vos médailles aux poubelles, elles ne témoignent que de votre tricherie, avait-il dit à ses joueurs.

Arrivé à Leeds le torse bombé et le verbe arrogant - «Je ne dirais certainement pas que je suis le meilleur entraîneur en Angleterre, mais je suis dans le Top 1», avait-il déclaré - , Brian Clough, star médiatique controversée, incapable d'imposer son autorité sur ses nouveaux joueurs, a été forcé de quitter Elland Road après seulement 44 jours. Il demeure à ce jour l'entraîneur avec la pire fiche de l'histoire du club.

Ce passage aussi court que tumultueux à la barre de Leeds United a servi de prétexte à l'écrivain David Peace, puis au scénariste Peter Morgan, pour illustrer les parts d'ombre d'une icône de la culture populaire anglaise. Rivalités féroces, ambitions démesurées, amitié fraternelle (entre Clough et son assistant Peter Taylor, complice de tous ses grands succès): The Damned United n'est pas qu'un film de sport. C'est une oeuvre fort divertissante, sur les failles et les grandeurs de l'homme, à la mesure du personnage démesuré de Brian Clough. C'est un film fait sur mesure pour les amateurs de football anglais (j'en suis), qui espère sans doute séduire un plus large public. L'intérêt qu'on y portera en Amérique du Nord est cependant loin d'être assuré.

Dans la peau de Clough, le brillant Michael Sheen, abonné aux «personnages historiques» (il fut le Tony Blair de The Queen et le David Frost de Frost/Nixon), offre une prestation d'une remarquable subtilité. Le réalisateur Tom Hooper, qui a repris ce projet d'abord destiné à Stephen Frears, apporte quant à lui un soin tout particulier à la reconstitution d'époque: les images d'archives s'arriment naturellement au récit, l'atmosphère des années 70 est intacte, il y a même des cendriers dans les vestiaires des joueurs.

Généralement bien accueilli en Grande-Bretagne, The Damned United, comme toutes les oeuvres biographiques (et le roman dont il est inspiré), n'a pas évité les reproches de ceux qui y sont dépeints de manière plus ou moins favorable. Le film, inspiré de la réalité, reste une oeuvre de fiction. La famille de Brian Clough (son fils Nigel a été un grand attaquant de la belle époque de Nottingham Forrest) a refusé de voir le film.

Brian Clough, contraint à une retraite forcée au début des années 90, dans la tourmente d'un scandale de pots-de-vin, a sombré dans l'alcoolisme à la fin de sa vie. Il ne s'est jamais remis du décès de son grand ami Peter Taylor, avec qui il s'était brouillé dans les années 80. Le «meilleur entraîneur à avoir jamais dirigé l'équipe d'Angleterre» est mort d'un cancer en 2004. Il avait 69 ans.