J'aurais pu attendre avant d'en parler. La donation, dernier volet de la trilogie de Bernard Émond sur les vertus théologales, ne sera présenté en ouverture du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue que le 31 octobre. Le film, très attendu, doit prendre l'affiche le 6 novembre. Je l'ai vu hier. Il m'a emballé. On me pardonnera cet élan d'enthousiasme.

Certains reprochent à Bernard Émond un certain rigorisme, un manichéisme, une conception quelque peu janséniste du cinéma. Ils n'ont pas tort. On ne peut toutefois reprocher au cinéaste de La femme qui boit la cohérence de sa démarche artistique. Aussi, cette Donation, morceau final d'un triptyque sur la foi, l'espérance et la charité, amorcé en 2005 avec La neuvaine (puis Contre toute espérance, deux ans plus tard), s'inscrit logiquement dans la filmographie de cet anthropologue de formation, arrivé au cinéma tardivement.

Bernard Émond creuse davantage le sillon de son oeuvre naturaliste grâce à cette fable sur le don de soi, portée magnifiquement par son actrice fétiche, Élise Guilbault. La donation est une «métaphore d'un monde en ruine mais où la beauté persiste», selon le réalisateur. C'est aussi un très beau film, languide et mélancolique, sur le devoir et l'engagement.

La neuvaine a marqué d'une pierre blanche le cinéma québécois, il y a quatre ans. La donation, sans fard et sans effets, fait de plans fixes et d'éclairages naturels, porte la même grâce. On y retrouve le personnage de Jeanne Dion, urgentologue de Montréal, femme fragile et taciturne, «guérie de son désir de mort» mais marquée par la vie, qui tente de redonner un sens à son existence en remplaçant un médecin de village, le Dr Rainville, dans le nord-ouest de l'Abitibi.

Bernard Émond filme encore une fois, avec grande acuité, «la vie ordinaire», celle que retrouve le personnage de Pierre (Éric Hoziel, très juste) dans la beauté du paysage abitibien. Il s'intéresse au rapport forcément intime entre le médecin et son patient, particulièrement dans un hôpital de province, et aux questionnements éthiques, philosophiques et théologiques découlant de la pratique de la médecine. Entre humanisme et déshumanisation, science et sacré, doute et certitude.

«Tu ne crois pas en Dieu? Ne t'avise pas de te prendre pour lui», a dit un jour sa soeur religieuse (Angèle Coutu) au Dr Rainville (Jacques Godin). Angèle Coutu n'a jamais été plus belle à l'écran, la voix de Jacques Godin plus apaisante. Élise Guilbault porte l'inquiétude dans le regard. Bernard Émond a le don de dévoiler la beauté intrinsèque de l'acteur.

Son plus récent film, chargé de spleen, d'une mystérieuse austérité, émeut autant qu'il donne à réfléchir. Images d'éteignoir, voilées de gris, d'où émane une lumière proverbiale. Tableaux étudiés, figés dans le temps, portant la signature d'un auteur. Déchirures du deuil, triste sort d'une région, nostalgie d'une autre époque. La grand-ville impersonnelle, le joug américain, l'injustice sociale, l'égoïsme de la bourgeoisie: les thèmes du cinéma de Bernard Émond sont là, sous-jacents.

On accepte volontiers la proposition, malgré certaines invraisemblances et ruptures de ton, notamment dans les dialogues, très écrits, mais bien écrits.

«C'est beau», dit Jeanne, en observant la campagne abitibienne. «C'est austère. Il y a beaucoup de gens qui n'aiment pas ça», lui répond le Dr Rainville. On dit la même chose du cinéma de Bernard Émond.

L'amertume d'un xénophobe

Je reçois régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, comme bien d'autres journalistes, des courriels de Victor-Lévy Beaulieu. Il n'a pas aimé ceci, il a adoré cela, il veut rendre hommage à untel et dénoncer tel autre. Souvent, les courriels se retrouvent dans ma corbeille avant d'avoir été lus.

En fin d'après-midi hier, machinalement, j'ouvre la pièce jointe: «Victor-Lévy Beaulieu a demandé officiellement hier à l'ambassade de la République fédérale et démocratique d'Éthiopie à Ottawa de devenir citoyen éthiopien. (...) VLB croit qu'être accepté dans la grande famille éthiopienne lui permettrait de ne plus être considéré comme un citoyen de deuxième classe dans son pays en devenir. Comme tous les immigrants qui habitent au Québec et oeuvrent dans la culture, VLB pourrait enfin être considéré comme leur égal et jouir, notamment dans la presse écrite et parlée, d'un préjugé favorable et d'avantages sociaux que lui interdisent sa qualité dite de Québécois de souche. Ainsi, pourrait-il n'écrire que des bluettes et faire la une de tous les médias pour y être encensé et catiné, pour ne pas dire porté aux nues dans de longues critiques dithyrambiques, ce qui n'est plus que rarement le cas quand vous n'êtes qu'un Québécois de souche.»

Certains me traiteront sans doute d'apôtre du politiquement correct (à la solde de Power Corporation), mais je perçois dans cette nouvelle sortie calculée de VLB, vexé de l'accueil médiatique fait à son nouveau roman Bibi (qui traite entre autres de l'Éthiopie), l'amertume d'un xénophobe. J'aimerais pouvoir dire que c'est la première fois.