Pour un critique de cinéma, il y a plusieurs façons d'être «seul de sa gang», au sens où l'entend le dossier de ma collègue Sonia Sarfati. Face au public, le critique est souvent seul. Les résultats du box-office en témoignent hebdomadairement. Face à ses confrères - sa gang, ni plus ni moins -, c'est un peu plus rare.

Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a reproché d'avoir aimé tel ou tel film d'auteur, prétentieux, ennuyeux et interminable. Le week-end dernier encore, on m'a parlé de La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche. Jamais je n'ai plus clairement constaté le schisme entre critique et grand public que dans la foulée d'une chronique sur ce film - un chef-d'oeuvre de subtilité et de langueur à mon sens - que j'avais intitulée Allez voir ce film (c'est un ordre).

Réaction outrée de dizaines de lecteurs qui se sont ennuyés ferme, en maudissant mon existence. J'étais seul de ma gang vis-à-vis du public, mais parfaitement en symbiose avec ma gang critique, qui a généralement encensé le film. Même scénario pour Caché, de Michael Haneke, qui m'a valu plusieurs plaintes de lecteurs déçus, malgré un accueil critique très enthousiaste.

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Même dans ma gang familiale, je me retrouve parfois esseulé. À Cannes, en 2000, je suis tombé sous le charme des Destinées sentimentales d'Olivier Assayas. Mon frère jumeau ne m'a toujours pas pardonné ces «deux heures de vie gaspillées». Mon jugement critique n'a plus aucune valeur à ses yeux (il n'est pas le seul, je sais). Je me suis retenu de lui recommander Gabrielle de Patrice Chéreau.

Pourtant, comme critique de cinéma, je ne suis pas particulièrement original. J'apprécie souvent les mêmes films que la majorité de mes confrères. Dans les palmarès des festivals ou les soirées de remises de prix, je fais rarement figure d'exception. Chaque critique a sa spécificité, bien entendu. Ses marottes, ses inclinations, ses a priori. Il reste que se dégage souvent un écho critique à un film, favorable ou défavorable. Règle générale, de manière tout à fait involontaire, je m'accorde avec cet écho.

Évidemment, il y a des exceptions. Ces cas type de «seul dans ma gang» critique, qui nous définissent comme cinéphiles. Ainsi, malgré les louanges des confrères et un accueil public sans précédent, j'ai été profondément irrité par Titanic de James Cameron. Où d'autres ont vu un tour de force d\'effets visuels, j'ai vu une baudruche boursouflée, un mélo mielleux sans queue ni tête, invraisemblable et ridicule.

L'ami Lussier, dont je respecte l'opinion éclairée, a accordé un rare «4 étoiles», il y a quelques années, au drame House of Sand and Fog, de Vadim Perelman. La majorité des critiques ont été, comme lui, séduits par le jeu de Ben Kingsley dans le rôle d'un ex-général iranien exilé aux États-Unis. Je n'ai pas cru une seule minute à son personnage voguant péniblement de malheur en malheur. Je n'ai surtout pas été ému par la surcharge de pathos de cette oeuvre à mon sens empesée et involontairement comique.

Slumdog Millionaire de Danny Boyle, accueilli de manière délirante par la presse nord-américaine au Festival de Toronto l'an dernier, est un film populaire sympathique et attachant. C'est aussi une oeuvre maniérée, caricaturale et plus lustrée qu'une carte postale du Taj Mahal. J'ai été un peu seul de ma gang à trouver que cette bluette cousue de fil blanc ne méritait pas l'Oscar du meilleur film.

Je pourrais en dire autant de Crash, de Paul Haggis, porté aux nues par la critique et le public cinéphile. Ce chassé-croisé multiculturel m'a paru forcé, racoleur, moralisateur et pétri de bons sentiments. Un autre Oscar du meilleur film surfait à mon avis (peu partagé).

Mais je ne me suis jamais senti plus seul de ma gang qu'au Festival de Cannes, en 2005. Je me souviens très bien du fou rire que j'ai tenté en vain de réprimer en découvrant A History of Violence de David Cronenberg. Les dialogues sonnaient faux, la bande sonore était affligeante, les interprétations franchement peu crédibles. Caricatural et conventionnel, ce film de commande m'avait semblé burlesque et navrant. La presse internationale a adoré et l'Association des critiques de cinéma du Québec en a fait son meilleur film de 2005. Seul. Très seul.