Maurice Sendak a 81 ans. En 1963, il a écrit et illustré Where the Wild Things Are, un classique de la littérature jeunesse anglo-saxonne. Ce conte énigmatique d'à peine 300 mots, sur les tribulations de l'enfance, a depuis ravi et intrigué des générations de jeunes lecteurs.

Spike Jonze, le génial cinéaste de Being John Malkovich et d'Adaptation, a adapté - il a de la suite dans les idées - ce petit livre illustré pour le cinéma. Where the Wild Things Are (Max et les maximonstres en version française) a pris l'affiche il y a une quinzaine. Succès populaire étonnant pour une oeuvre exigeante, reçue dans l'enthousiasme ou l'indifférence (c'est selon) par la critique.

Je ne reviendrai pas longuement sur ce film qui a plus ou moins soutenu mon intérêt: ses séquences de réalisme m'ont absolument ravi, celles sur la fantaisie de l'imaginaire enfantin, beaucoup moins. Where the Wild Things Are, un court texte subtil, formidablement illustré, se prêtait peut-être davantage à un court qu'à un long métrage.

Sans dénaturer l'oeuvre, Spike Jonze et le scénariste Dave Eggers ont, à mon sens, étiré la sauce. Difficile de faire d'un récit de 300 mots un film de 90 minutes. C'est ainsi que le film se présente entre autres comme une métaphore insistante du divorce et des conséquences de l'absence du père sur son fils. Il abuse d'effets spéciaux - par ailleurs fort réussis - et piétine longuement dans cette forêt enchantée où Tony Soprano (voix de James Gandolfini) semble s'être réfugié dans le costume de Youppi.

Pour ces raisons et bien d'autres, j'estime que le film de Spike Jonze ne rend pas tout à fait justice à l'oeuvre de Maurice Sendak, plus subversive dans sa forme et son propos. Où le livre de Sendak sonde avec une habile économie de moyens l'imaginaire clair-obscur de l'enfance, le long métrage de Jonze souffre du compromis hollywoodien du «film familial» spectaculaire et s'égare artistiquement quelque part entre le film «pour» et «sur» les enfants.

La chose paraît pour le moins paradoxale lorsque l'on connaît l'aversion de Maurice Sendak pour le compromis, la complaisance, la bienveillance et le politically correct dans les oeuvres jeunesse. Il y a quelques semaines, en entrevue au magazine Newsweek en compagnie de Jonze et d'Eggers, Sendak déclarait que les parents qui trouvaient Where the Wild Things Are, le film, trop «effrayant» pour leurs enfants pouvaient «aller au diable».

«C'est quelque chose que je ne peux tolérer, a-t-il dit. Si les enfants ont trop peur, qu'ils restent à la maison. Ou qu'ils mouillent leur pantalon. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent. Je n'ai pas à en répondre aux parents.»

Ce n'est pas d'hier que Maurice Sendak doit défendre ses oeuvres. À sa publication il y 46 ans, Where the Wild Things Are, une histoire de monstres poilus aux dents pointues, avait eu l'heur de déplaire à bien des parents qui la jugeaient trop sombre pour leurs enfants. La psychanalyste française Françoise Dolto avait déconseillé sa lecture aux petits. Un autre livre célèbre de Sendak, In the Night Kitchen, publié en 1970, a maintes fois été censuré en raison de la nudité de son personnage principal, un jeune garçon.

On ne saurait contredire Sendak lorsqu'il déclare à Newsweek qu'il s'agit là d'un «problème très américain» (on pourrait ajouter «nord-américain»). Citant à l'appui de son propos Ma vie de chien de Lasse Halström et Les 400 coups de François Truffaut, l'auteur considère que le cinéma américain, contrairement au cinéma européen, a toujours été plus frileux lorsqu'il est question de l'enfance. «Nous sommes disneyfiés. Nous ne voulons pas que les enfants souffrent. Mais la réalité, c'est qu'ils souffrent», dit celui qui considère Disney «terrible pour les enfants».

Fils d'immigrants polonais, Maurice Sendak dit s'être inspiré de sa parenté pour créer les monstres aux personnalités typées de Where the Wild Things Are. «Mes parents étaient des immigrants et ne savaient pas qu'ils devaient édulcorer les histoires qu'ils nous racontaient, dit-il. Alors nous avons entendu des histoires terribles, que nous adorions.»

Aujourd'hui, filtrées par le prisme hollywoodien, les histoires racontées aux enfants, au cinéma du moins, sont la plupart du temps des fables aseptisées, sans conséquence, avec morale à la clé. Un catéchisme nouveau genre, intégré à une culture mondialisée, pour une génération surprotégée, qui apprendra à la dure, tôt ou tard, que la réalité est moins rose que le merveilleux monde de Disney.