Certains patinent sur la bottine, d'autres se contentent d'avoir un esprit de bottine. J'ignore quel genre de patineur est Sylvain Archambault, le réalisateur du film Pour toujours les Canadiens. Mais si je me fie aux propos qu'il a tenus hier dans un journal en lock-out de la métropole, j'ai la nette impression que, déçu de l'accueil tiède de plusieurs médias à l'égard de son film, le réalisateur a succombé à l'esprit de bottine et s'est mis à penser avec ses pieds.

Défendre son propre film contre la méchante critique est une chose. Le faire avec des arguments fallacieux en est une autre.

Quand Archambault reproche aux journalistes, et seulement à ceux de La Presse, d'avoir manqué d'éthique en ne respectant pas l'embargo critique sur le film, il est carrément de mauvaise foi. D'abord, tous les journalistes, sauf ceux de TVA, le distributeur du film, ont décidé qu'ils pouvaient difficilement retenir leurs commentaires face à un film en forme de record Guinness, présenté en grande avant-première au Centre Bell devant 14 000 spectateurs. Si les 14 000 spectateurs avaient été obligés de jurer sur la bible qu'ils ne parleraient à personne du film qu'ils venaient de voir, les choses auraient été différentes. Mais puisque tous ces braves gens pouvaient, à leur sortie du Centre Bell, commenter librement le film, les critiques ont, à juste titre, décidé qu'ils pouvaient en faire autant.

Certains critiques ont été plus tendres que mes camarades de La Presse. Ceux-là, comme par hasard, ne se sont pas fait reprocher leur manque d'éthique, signe que pour Sylvain Archambault lorsque la critique est élogieuse, elle est au-dessus de tout soupçon.

Quand Sylvain Archambault poursuit ses lamentations en déclarant que les critiques qui n'ont pas aimé son film sont les mêmes intellos qui ont descendu De père en flic, son esprit de bottine le fait carrément fabuler puisque la vaste majorité des critiques à La Presse comme ailleurs ont été très favorables au film d'Émile Gaudreault. Et quand il en rajoute en s'en prenant à ces intellos qui méprisent ce peuple qu'il est le seul à défendre, il fait preuve d'une désolante démagogie.

D'abord pour qui se prend-il au juste pour affirmer qu'il a fait un film pour le peuple? Pour René Lévesque? Pour le père de la nation québécoise?

Me semble que lorsqu'on est un cinéaste, son premier devoir n'est pas d'être le porte-parole du peuple. C'est de rester libre et de se mettre entièrement au service de son art. Pas au service de son commanditaire.

Or, ce qui a choqué plusieurs critiques, c'est la complaisance et l'aplaventrisme d'un réalisateur qui, tel un publicitaire, a cherché avant tout à faire plaisir à son commanditaire, en l'occurrence le Club Canadien et à l'aider à vendre sa marque au public.

Dans le monde publicitaire, c'est ainsi que les choses marchent et ce n'est que justice puisque c'est le commanditaire qui paie la note. Mais Pour toujours les Canadiens n'a pas été financé par le Club Canadien. Son budget de 6 millions a été payé par les institutions habituelles qui financent tous les films québécois. Le Club Canadien a fourni la glace, la Zamboni, des photos d'archives et une poignée de joueurs qui marchent au ralenti, cheveux au vent comme dans un pub de shampoing ou de mousse coiffante. That's it, that's all.

Cela revient à dire que Sylvain Archambault n'avait absolument pas besoin de faire un film racoleur à la gloire d'un commanditaire qui n'en était pas un. Il était libre de faire le film qu'il voulait. En plus, les sources d'inspiration ne manquaient pas. Au moins trois grands films sur le hockey ont été réalisés chez nous jusqu'à ce jour. Le sublime Maurice Richard de Charles Binamé, d'après un scénario de Ken Scott. Le très touchant Histoires d'hiver de François Bouvier, d'après un scénario de Marc Robitaille qui demeure à ce jour un de mes films québécois préférés. Et le charmant court métrage de Sheldon Cohen, Le chandail, d'après une nouvelle de Roch Carrier sur un gamin, fou de Maurice Richard dans le Québec rural des années 40.

Il y avait de la place pour un quatrième film aussi inspirant que ceux-là. Sylvain Archambault avait d'ailleurs commencé à le réaliser notamment grâce à l'émouvant Antoine L'Écuyer qui joue le rôle d'un enfant malade dans le film et qui crève littéralement l'écran. Mais au lieu de s'en tenir à l'histoire toute simple de cet enfant que le hockey aide à vivre, Archambault a voulu faire deux autres films en même temps, dont un smili-documentaire sur le Club Canadien. Son désir de plaire au commanditaire a fini par bouffer son film. L'esprit de bottine s'est chargé du reste.