La première fois, c'était en 1977. J'avais 4 ans. Ma tante nous avait accompagnés, mon cousin, mon frère et moi, au cinéma Colombien. J'ai encore en tête l'image de ce grand écran blanc, que je découvrais à l'avant de la salle.

Le film mettait en vedette René Simard. Était-ce Un enfant comme les autres, le documentaire de Denis Héroux, ou son long métrage J'ai mon voyage ! (avec Jean Lefebvre et Dominique Michel)? Je ne sais plus. Ce dont je me souviens, en revanche, c'est que la projection avait été interrompue, en plein milieu, pour un tirage. Je fixais mon billet déchiré et j'espérais que les chiffres correspondent à ceux affichés à l'écran.

Le cinéma Colombien, tenu par les Chevaliers de Colomb, a fermé ses portes en 1980. Aujourd'hui, dans mon Gaspé natal, il ne reste plus que le Théâtre du cinéma Baker, à l'Hôtel des Commandants, et la salle parallèle Ciné-Lune. Je l'ai appris en lisant Les salles de cinéma au Québec (1896-2008), un survol de l'évolution des lieux de diffusion du cinéma dans la province, du critique et ancien professeur de cinéma Pierre Pageau.

L'ouvrage, paru cette semaine aux éditions GID, est le résultat de quatre ans de recherches dans toutes les régions du Québec. Il s'agit à la fois d'un rappel historique et d'un hommage aux diffuseurs qui portent le flambeau du cinéma. Des «héros», selon Pierre Pageau, qui gardent la cinéphilie en vie, souvent contre vents et marées. «Dans l'ensemble, la situation des cinémas en région n'est pas très réjouissante, dit-il. Mais il y a des gens, de beaux fous, qui insistent pour maintenir des salles de cinéma là où on ne l'aurait pas cru possible.»

Pierre Pageau, dont le parcours de cinéphile a été marqué par la fréquentation assidue de l'Empress et du Royal Alexandra, à Lachine, dans les années 50, a enseigné le cinéma au cégep Ahuntsic pendant plusieurs années. Il anime aujourd'hui une émission sur le cinéma à Radio Centre-ville, collabore à la revue Séquences et a, entre autres, publié en 2006, avec son ancien collègue Yves Lever, une Chronologie du cinéma au Québec.

C'est en consultant sa collection de cartes postales historiques de salles de cinéma du Québec que Pageau a eu envie de pousser plus loin ses recherches sur le sujet. Il a mené de nombreuses entrevues, s'est promené dans tous les coins de la province, et a colligé assez d'information pour écrire trois livres. «J'ai découvert le Québec à travers du livre, qui est le premier du genre à couvrir l'histoire des salles de cinéma dans l'ensemble des régions.»

Son ouvrage, très détaillé, aborde évidemment le sujet de l 'aveni r incer tain des salles de cinéma. «Le premier déclin des salles a été observé dans les années 80, rappelle Pierre Pageau. On annonçait presque la fin du cinéma avec l'avènement de la vidéo et de la télévision payante.» Il y a eu un regain de popula rité du cinéma dans les années 90, mais depuis quelques années, le nombre de spectateurs est en constante diminution.

Le taux d'occupation des salles québécoises est passé de 18,8% en 1998 à 11,8% en 2006. «Les propriétaires de salles sont embêtés, note l'auteur. Ils commencent à regarder ce qui se fait aux États-Unis, où l'on propose par exemple dans certaines salles des places à prix variés. Des sièges plus confortables, de type La-Z-Boy, y sont vendus plus chers. D'autres offrent pendant la projection un menu de bistro. On tente comme on peut d'attirer les spectateurs.»

Pierre Pageau remarque aussi un phénomène connexe : la d ispa r i t ion constante de salles au centre ville de Montréal. «Si on faisait une carte évolutive, on verrait qu'en 1920, la plupart des cinémas étaient regroupés autour de l'axe Sainte-Catherine/Saint-Laurent . Dans les années 60, les salles ont commencé à s'éloigner du centre et aujourd'hui, au prorata de la population, il y a plus de salles en banlieue qu'en ville.»

Il a beaucoup été question récemment, notamment dans cet te chronique, de la fermeture des salles de cinéma d'Ex-Centris et de son impact catastrophique sur la diffusion du cinéma d'auteur. Mais la fermeture d'autres salles, telles celles du Parisien, qui permettait une «seconde sortie» à certains films, ou du Complexe Desjardins , qui diffusait beaucoup de cinéma français, ont aussi eu un impact désastreux, croit Pierre Pageau. «Heureusement qu'il y a des gens comme Mario Fortin (du Cinéma Beaubien) et Roland Smith (du Cinéma du Parc) qui font de grands efforts pour maintenir des cinémas de quartier et de répertoire à Montréal.»

L'auteur estime par ailleurs que l'on devrait redynamiser certains lieux de diffusion de la métropole. Les salles de la Cinémathèque, du cinéma ONF et de la Grande Bibliothèque devraient être davantage exploitées, dit-il, d'autant plus qu'elles sont toutes situées dans un quadrilatère central, près de métro Berri-UQAM et du Cinéma Quartier Latin.

Malgré la menace du cinéma-maison, la fréquentation des salles de cinéma reste un rite de passage pour la majorité des adolescents québécois, qui comptent pour beaucoup dans le maintien des cinémas commerciaux en région, constate Pierre Pageau. «Il restera toujours des gens pour vivre l'expérience du cinéma en groupe. Les salles ont souvent été comparées à des cathédrales. Elles sont des lieux de rassemblement autour d'un rituel. La reconversion de plusieurs d'entre elles en lieu de culte religieux (le Crémazie, le Château) n'est peut-être pas un hasard!»

..........

En marge de la sortie du livre Les salles de cinéma au Québec (1896-2008), le Cinéma Beaubien propose une exposition de photographies d'époque de salles de cinéma jusqu'au 15 janvier.