N'eût été l'ado de la maison, qui a insisté lourdement, je ne serais jamais, jamais, allée voir Avatar, la mégafable de James Cameron mettant en vedette des géants bleus avec des faces de chiens et des grosses billes jaunes à la place des yeux. Mais c'était le temps des Fêtes, moment de l'année où tout parent qui se respecte est prêt à faire les quatre volontés de sa progéniture, quitte à se farcir des films poches en forme d'avatars ou d'avortons.

Toujours est-il que j'ai pris le chemin pour Avatar, mon sac à main chargé de préjugés et mes oreilles encore bourdonnantes des commentaires éclairés des collègues Cassivi et Lussier, qui n'ont cessé de répéter, à la radio, à quel point le scénario de ce film au budget qui aurait pu nourrir l'Afrique au complet était nul, simpliste, caricatural, grossièrement manichéen. Comment le soin apporté aux effets spéciaux, à la scénographie et à la direction artistique n'avait jamais trouvé son équivalent dans l'échafaudage du récit et la construction des personnages. Bref, je m'attendais au pire, et quand le préposé m'a tendu une vieille paire de lunettes 3D en mauvais plastique rayé, je me suis dit que le pire ne faisait que commencer et qu'en plus, il durerait presque trois heures. Misère!

Mais passée l'entrée en matière dans le laboratoire futuriste militaire, où je ne comprenais strictement rien aux échanges, et passé le premier plongeon dans le monde verdoyant et luxuriant des Na'vis, quelque chose s'est produit. Non seulement ai-je commencé à me détendre et à apprécier le voyage, j'ai vu poindre le début de ce qui allait bientôt devenir, pour mon plus grand plaisir, une fable écologique, mais surtout un film farouchement antimilitariste et, à la limite, antiaméricain, une sorte d'Apocalypse Now de l'ère virtuelle, sans la profondeur tourmentée du roman de Joseph Conrad, sans l'intelligence de son scénario, mais avec la même féroce détermination de montrer les ravages de la militarisation à outrance.

«C'est rare de percevoir dans un blockbuster un constat aussi négatif sur l'état de la civilisation américaine», écrit le critique de la revue Telerama. Ce à quoi j'ajouterais : c'est peut-être rare, mais rafraîchissant en diable de voir un réalisateur qui joue dans le mainstream prendre autant de risques, d'abord financiers, puis commerciaux, et enfin politiques, pour dénoncer aussi directement une occupation militaire américaine autant au Vietnam qu'en Irak et en Afghanistan. Un réalisateur qui, en plus, se permet de lancer sur la place publique et dans la culture populaire un mot bizarre en sanskrit, avatar, qui vient de la religion hindoue.

Le seul atout de Cameron à cet égard, c'est qu'Avatar s'inscrit non pas dans l'Amérique bornée de George Bush, mais dans celle plus ouverte et métissée de Barack Obama.

C'est peut-être ce qui explique le succès fulgurant du film, qui, malgré des débuts lents, a fini par franchir le cap du milliard récemment. Et c'est aussi ce qui explique la subite levée de boucliers de la droite américaine : depuis le retour des Fêtes, elle s'est mise à furieusement vilipender un film auquel elle reproche, entre autres, d'être antipatriotique. Curieusement, lorsque le film a pris l'affiche avant Noël, la droite est restée plutôt silencieuse ou alors carrément indifférente. À partir du moment où Avatar s'est mis à remonter la côte et à récolter, de la France jusqu'au Brésil en passant par la Russie, des recettes de plus de 600 millions en devises étrangères, la droite américaine s'est réveillée et est montée au créneau pour défendre l'honneur de sa patrie, bafouée non seulement par un gauchiste d'Hollywood, mais par un gauchiste canadien de surcroît!

Personnellement, que des émules de Rush Limbaugh ou de Bill O'Reilly, membres éminents de la droite épaisse, honnissent ce film, cela me le fait aimer encore davantage. Pas au point d'aller le revoir, mais assez pour remercier l'ado de la maison de m'avoir ouvert la voie et fait apprécier l'avatar.