Les journalistes de cinéma s'intéressent parfois au septième art de la même façon que leurs collègues des sports scrutent les pourcentages d'arrêts des gardiens de la LNH. Telle équipe n'a pas remporté de victoire à domicile contre telle autre un-vendredi-13-nuageux-avec-possibilité-d'averses depuis 1976. La guigne s'acharne...

The Hurt Locker, oeuvre sensible et percutante de Kathryn Bigelow sur une escouade de démineurs en Irak, vient d'être sacré meilleur film de 2009 par les associations de critiques de New York et de Los Angeles, ainsi que par la National Society of Film Critics.

Certains confrères ont aussitôt remarqué qu'aucun film n'avait réussi pareil tour du chapeau depuis 1997. La dernière oeuvre à avoir été plébiscitée de manière aussi unanime par la critique américaine? L.A. Confidential, de Curtis Hansen. Qui avait remporté l'Oscar du meilleur film quelques mois plus tard? James Cameron et une baudruche nommée Titanic. Tiens, tiens...

Depuis qu'Avatar, du même James Cameron, s'est mis à battre des records au box-office (déjà plus d'un milliard de dollars de recettes), les pronostiqueurs des Oscars ont changé leur fusil d'épaule. The Hurt Locker était sur toutes les lèvres il y deux semaines. Avatar vient de prendre sa place.

Jeudi, la Directors Guild of America (DGA) a annoncé la liste des finalistes à son prix du meilleur réalisateur d'un long métrage de fiction, d'ordinaire un indicateur assez fiable de la même catégorie à la soirée des Oscars. Le seul intrus à mon sens est Lee Daniels pour Precious, l'un des films les plus surréalisés de l'année. Sinon, on retrouve sans surprise Quentin Tarantino pour Inglourious Basterds, Jason Reitman pour Up in the Air, James Cameron pour Avatar et Kathryn Bigelow pour The Hurt Locker.

Les amateurs de statistiques que sont les journalistes ont souligné dans la foulée qu'aucune femme n'avait jamais remporté l'Oscar de la meilleure réalisation, et que seulement trois réalisatrices avaient déjà été finalistes dans cette prestigieuse catégorie: Lina Wertmüller pour Seven Beauties (1976), Jane Campion pour The Piano (1993) et Sofia Coppola pour Lost in Translation (2003).

Les amateurs de potins que sont aussi les journalistes ont enfin noté que le duel qui se profile entre The Hurt Locker et Avatar aux Oscars sera aussi celui d'un ancien couple: Kathryn Bigelow étant l'une des quatre ex-femmes de James Cameron (ils n'ont été mariés que deux ans et se sont séparés il y a près de 20 ans).

Ce qui me préoccupe, de mon côté, c'est que James Cameron, un faiseur d'images de grand talent qui n'est pas pour autant un grand cinéaste, risque de se retrouver le 7 mars sur la scène du Kodak Theatre, le torse bombé, le vent en poupe, déclarant une fois de plus: «Je suis le roi du monde.» La première fois, j'en avais eu des nausées.

J'ai beau ne pas trop vouloir accorder d'importance aux Oscars, la perspective de voir déclarée «meilleur film de l'année» une orgie d'effets spéciaux sans scénario, mettant en vedette un Jar Jar Binks amélioré et un militaire tiré de Predator, me désole un peu. Déjà qu'à mon sens, Titanic ne méritait pas ses 11 statuettes dorées (un record), sinon pour la chanson de Céline Dion (s'cusez-la).

J'ai des raisons de craindre le pire. Ce n'est pas pour rien que l'auguste Académie a modifié son règlement l'an dernier pour permettre à dix films, plutôt que cinq, de concourir à l'Oscar du meilleur film. Cette décision malheureuse participe d'une volonté évidente de s'enligner sur le box-office, de racoler le grand public et de rendre son gala annuel plus attrayant pour les téléspectateurs (et bien sûr, les annonceurs).

Elle est une conséquence directe, même si la chose a été niée, de «l'affront» fait à The Dark Knight de Christopher Nolan l'an dernier. Le champion du box-office, qui avait d'indéniables qualités esthétiques, n'avait pas été retenu (à juste titre à mon avis) parmi les cinq finalistes au plus prestigieux des Oscars.

Hollywood tentera sans doute de faire amende honorable au cours des prochaines semaines en n'écartant pas Avatar de la même façon. L'Académie risque de toute manière de trouver difficile de nommer 10 candidats dignes de sa célèbre statuette. J'aurais de la difficulté à en trouver cinq. Et Avatar ne ferait pas partie du lot.

La soirée des Oscars 2010 sera-t-elle calquée sur celle de 2008? Le favori des critiques aura-t-il cette fois le dessus sur le favori du public? Avatar ou The Hurt Locker? La division du vote entre 10 candidats profitera-t-elle à un autre titre? Ma prédiction: l'Oscar du meilleur film à Up in the Air de Jason Reitman, une délicieuse tragicomédie qui a rallié autant la critique que le public. Même si selon moi, le meilleur film américain de l'année reste l'ambitieux et grandiose Inglourious Basterds de Quentin Tarantino.