Provocateur érudit, esthète élégant, moraliste subversif, Michael Haneke reste, malgré les accolades et un parcours d'une richesse inouïe, l'un des cinéastes les plus sous-estimés de son époque. La Palme d'or décernée au Ruban blanc, qui prend l'affiche vendredi prochain au Québec, son récent Golden Globe et sa probable sélection à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, mardi, n'y changeront pas grand-chose.

Plus sévère que Lars von Trier, moins grand public que Pedro Almodóvar, d'une discrétion absolue, le maître autrichien, qui aura 68 ans en mars, est rarement cité aux côtés de ses contemporains plus célèbres: Scorsese, Spielberg ou encore Lynch.

Rien de bien étonnant. Michael Haneke n'est pas américain, ceci expliquant cela. Aussi, sa vocation fut tardive. Fils d'acteurs ayant étudié la psychologie, la philosophie et l'art dramatique, il a débuté au théâtre, puis longtemps travaillé à la télévision, avant de réaliser son premier long métrage pour le cinéma, Le septième continent, en 1989. Il n'a obtenu une réelle reconnaissance internationale qu'à 50 ans, trois ans plus tard, avec le controversé Benny's Video.

Abonné de la compétition du Festival de Cannes, où il a d'emblée suscité une polémique avec le violent Funny Games en 1997, Michael Haneke a flirté avec la Palme d'or en 2001 (Grand Prix du jury pour La pianiste) et en 2005 (Prix de la mise en scène pour Caché, le grand favori des festivaliers), avant d'obtenir la consécration suprême du cinéma d'auteur en mai dernier, des mains de l'une de ses actrices fétiches, Isabelle Huppert.

Le ruban blanc, une légende de village doublée d'une fable philosophique aux forts accents bergmaniens, est peut-être le plus classique des films de Michael Haneke. C'est une oeuvre austère et cérébrale, fascinante et rigoureuse, qui s'intéresse aux racines du fascisme dans un village obscurantiste du nord de l'Allemagne, peu avant la Première Guerre mondiale.

Michael Haneke y explore avec force subtilité et suggestion différentes facettes de la déshumanisation, en traitant de thèmes récurrents de sa filmographie - la mémoire, la honte, la violence, l'aliénation, la vengeance, la transmission des valeurs -, de manière plus clinique encore qu'à son habitude.

La mise en scène, extrêmement soignée, est parfaitement maîtrisée, méticuleuse et précise, d'une qualité formelle admirable: les images, filmées en noir et blanc, surtout en plans fixes, forment une collection de tableaux très forts. Une attention particulière a été apportée au détail: les plans s'étirent, les grincements de portes sont bien sonores, le silence de la culpabilité s'installe. L'éclairage est minimal, il n'y a pratiquement pas de musique. Et oui, pour ceux qui ont détesté le pourtant excellent Caché, la fin est ouverte et ambiguë.

Le ruban blanc, symbole de «l'innocence et de la pureté», selon le pasteur du village, qui n'hésite pas à battre ses enfants, est le premier film de Michael Haneke tourné en allemand depuis Funny Games (que le cinéaste a refait en 2007, plan par plan, pour sa version américaine). C'est un long métrage brillant et exigeant, de près de 2h30, qui donne à entendre certains des dialogues les plus durs du cinéma des dernières années, en particulier une tirade misogyne plus qu'odieuse du médecin du village qui, renonçant à sa maîtresse en pleins ébats, lui lance: «Tu me dégoûtes. Tu es laide, négligée, ta peau est flasque, ton haleine fétide. Tu me donnes envie de vomir.»

Le film, même si Haneke s'en défend, s'intéresse dans son extrême violence psychologique à la montée du nazisme, et à l'impact d'une éducation rigoriste, empreinte de terreur, sur la jeune génération qui a fini par embrasser les idées d'Hitler.

«Je ne veux pas que le film soit seulement interprété comme une oeuvre sur le fascisme, avait déclaré le cinéaste après la projection du Ruban blanc à Cannes. C'est l'histoire d'enfants parfaitement convaincus des idéaux que leur transmettent leurs parents. Lorsqu'on pense savoir ce qui est juste, on devient inhumain. C'est la racine de toute forme de terrorisme, politique ou religieux.»

Moscou au temps de l'espionnage


Au début des années 80, Vladimir Vetrov, un colonel francophile du KGB, décida de livrer des documents secrets de l'URSS à la France. Il en livra plus de 3000, révélant à l'Occident le besoin soviétique de s'appuyer sur les technologies occidentales pour moderniser son arsenal militaire. Le travail colossal de cette taupe, baptisée «Farewell», aurait inspiré le président américain de l'époque, Ronald Reagan, à se lancer dans une course aux armements effrénée, ne pouvant être suivie par l'adversaire soviétique.

Cette page méconnue de l'histoire du contre-espionnage pendant la guerre froide, que l'on désigne comme l'un des facteurs de la chute du régime communiste en URSS, a inspiré à Christian Carion (Joyeux Noël) un film efficace et intrigant, L'affaire Farewell, mettant en vedette deux confrères cinéastes: Guillaume Canet et Emir Kusturica.

Le réalisateur de Chat noir, chat blanc est au coeur de l'intrigue, incontournable dans le rôle plus grand que nature de Vetrov (renommé Gregoriev pour les besoins de la fiction). Guillaume Canet est plus discret, mais aussi très crédible, en ingénieur candide, réquisitionné de force par Gregoriev, qui prend goût à l'espionnage. Un thriller classique mais intelligent, campé dans un Moscou d'époque reconstitué, mené habilement par un duo d'acteurs atypique, inspiré d'une réalité qui, semble-t-il, dépasse même la fiction.