Fearless, de la chanteuse country-pop Taylor Swift, 20 ans, a été sacré dimanche meilleur album de l'année, toutes catégories confondues, à la soirée des Grammy.

Une collection de chansonnettes rose bonbon sur les fantasmes chastes d'une ingénue qui attend patiemment son prince charmant. «Tu seras mon prince, je serai ta princesse.» (chanson no 1) «Tu n'es pas une princesse, ceci n'est pas un conte de fées.» (chanson no 2). En cas d'indisponibilité, le prince est remplacé - évidemment - par un joueur de football (chanson no 3).

En voyant dimanche cette Avril Lavigne du country chanter de sa voix de fausset un duo avec Stevie Nicks, puis recevoir le prix le plus prestigieux de la soirée, je me suis dit que les Grammy avaient atteint le fond du baril.

Les mononcles des Grammy se sont ridiculisés autrefois en remettant le prix de la «meilleure performance heavy metal» à Jethro Tull plutôt qu'à Metallica (1989) ou en décernant le prix de l'album de l'année à Two Against Nature de Steely Dan plutôt qu'à Kid A de Radiohead (2001). Deux exemples parmi tant d'autres. Les Grammy, de mémoire de mélomane, ne sont pas dans le coup depuis au moins 25 ans.

Cette année, tentant désespérément de dépoussiérer son image, l'industrie du disque américaine a fait un effort pour mettre en valeur de jeunes artistes pop au goût du jour: les Lady Gaga et autres Beyoncé. Et comme un vieux beau qui porte un perfecto et un pantalon de cuir seyant en espérant dégager une image jeune et populaire, elle a plébiscité un disque country-pop sans substance, destiné à un public d'adolescentes de 15 ans, vendu à quelque 3 millions d'exemplaires.

Résultat: le gala des Grammy a récolté sa meilleure cote d'écoute depuis six ans. Et nui davantage à une réputation déjà mise à mal par des années de choix douteux (Milli Vanilli, les amis?).

La soirée des Oscars, contrairement à celle des Grammy, a toujours réussi, malgré des erreurs de parcours, à maintenir un minimum de respectabilité. Ses choix, américanocentristes et consensuels, ont souvent été contestés (Shakespeare in Love, meilleur film devant The Thin Red Line?), mais pas de manière systématique.

Or, cette année, à l'instar de l'industrie du disque, qui visait clairement le public d'American Idol, Hollywood a décidé à son tour de racoler le grand public avec des films plus populaires. Ce qui explique la décision, ridicule, de porter de cinq à dix le nombre de finalistes à l'Oscar du meilleur film.

Les finalistes dévoilés mardi confirment les pires craintes. Certains espéraient que le fait de doubler le nombre de concurrents dans la plus prestigieuse catégorie du gala permettrait à des oeuvres plus obscures, plus difficiles, voire étrangères, de se faufiler parmi les finalistes. Not! Pourquoi sélectionner Le ruban blanc ou Un prophète, les deux meilleurs films d'une année cinéma passable, quand on peut faire une place au soleil à The Blind Side, un feel-good movie inspiré d'un fait vécu, ou District 9, une métaphore de l'apartheid enfouie sous une épaisse couche d'explosions de corps humains et extraterrestres?

Pourquoi? Parce que The Blind Side, l'histoire d'un sans-abri devenu vedette de la NFL, a engrangé 238 millions au box-office et que District 9, un thriller linéaire peuplé de langoustines géantes et anorexiques, a cumulé des recettes de 115 millions.

Cinq des dix candidats à l'Oscar du meilleur film ont d'ailleurs amassé plus de 100 millions aux guichets (Avatar a dépassé les 600 millions, en Amérique du Nord seulement). En comparaison, l'an dernier, un seul des cinq finalistes avait franchi ce cap: The Curious Case of Benjamin Button. Le box-office de The Hurt Locker, le favori de la critique, et principal rival d'Avatar? Douze millions de dollars. David contre Goliath.

On l'a répété maintes fois: le virage populiste des Oscars a été inspiré notamment par le tollé qu'avait soulevé la non-sélection de The Dark Knight, l'archipopulaire (et surfait) Batman de Christopher Nolan, en 2009. Il est aussi le résultat d'un déclin constant des cotes d'écoute de la Soirée des Oscars, aux prises, bon an, mal an, avec des films d'auteurs plus ou moins confidentiels, destinés à un public majeur, vacciné et averti. Bref, un véritable repoussoir d'audimat, comme diraient les Français.

Vous pouvez déjà parier un p'tit 20 $ que la prochaine soirée des Oscars sera la plus populaire depuis 1998, l'année record de Titanic (du même réalisateur qu'Avatar, James Cameron), avec ses 55 millions de téléspectateurs. L'an dernier, «seulement» 36 millions de personnes étaient à l'écoute.

En cherchant à tout prix à faire jeune et populaire, m'est avis que le gala des Oscars se tire dans le pied autant que celui des Grammy. Il brade sa crédibilité. District 9, un film à petit budget tourné en Afrique du Sud, est bien réalisé. Moins abruti que la grande majorité des films d'action et de science-fiction du genre. Il reste qu'essentiellement, pendant la dernière demi-heure de ce jeu vidéo fait film, on observe des corps exploser comme des tomates trop mûres.

«Si quelqu'un m'avait dit pendant le tournage que le film serait finaliste à l'Oscar du meilleur film, j'aurais ri. C'est absurde», a déclaré mardi le réalisateur et coscénariste de District 9, Neill Bloomkamp. Absurde, en effet.

Il faudra pourtant s'y faire. De plus en plus, les galas télévisés sont devenus esclaves de la cote d'écoute, soumis aux diktats des industries dont ils sont, ni plus ni moins, les vitrines. Plus qu'une célébration de l'excellence, les Oscars comme les Grammy sont, avant toute chose, une affaire de gros sous.