L'an dernier, à pareille date, la crédibilité de la Soirée des Jutra avait été quelque peu ébranlée par un «oubli» malheureux lors du dévoilement de ses finalistes. Tout est parfait, l'un des meilleurs films québécois de la dernière décennie, n'avait pas été retenu parmi les candidats au Jutra du meilleur film de 2008.

On avait appris dans la foulée que le film d'Yves-Christian Fournier avait pourtant été sélectionné parallèlement par un jury de professionnels mis sur pied de manière exploratoire par les organisateurs des Jutra. Les choix de ce «jury fantôme» avaient mis en évidence les lacunes du vote universel (beaucoup d'électeurs admettaient ne pas avoir vu les films).

La présidente de la Soirée des Jutra, Danielle Proulx, pour qui la révision du mode de désignation des finalistes est une priorité depuis trois ans, a décidé de réagir. «Plusieurs se retrouvaient oubliés», a-t-elle rappelé hier. Cette année, c'est un jury de représentants de différents corps professionnels, ainsi qu'un ancien lauréat du Jutra-Hommage (le cinéaste Michel Brault) et une ancienne critique de cinéma (Louise Blanchard), qui ont déterminé les finalistes (désormais au nombre de cinq plutôt que quatre, une décision qui s'imposait).

J'ai toujours considéré le vote universel comme un moindre mal pour les Jutra, dans un petit milieu où les apparences de conflits d'intérêts sont inévitables avec des jurys de pairs. À la lumière des ratés de l'an dernier (confusion entourant des bulletins de vote erronés, mises en nomination étonnantes, etc.), j'ai commencé à en douter. Il m'a semblé qu'un compromis souhaitable serait d'envisager une forme hybride de sélection des finalistes, privilégiant un vote universel, pondéré par celui de jurys indépendants.

Après moult «analyses, études et discussions franches», comme l'a souligné hier Danielle Proulx, la solution du jury unique pour les films de fiction a été retenue. Les délibérations «sous forme de maïeutique» ont évité le piège de la dictature, selon le délégué général de la Soirée des Jutra, Henry Welsh. Avec ce net avantage sur l'ancienne formule: les jurés ont vu les 39 films de fiction admissibles dans les différentes catégories. Ce qui explique peut-être l'inclusion surprise du Jour avant le lendemain, de Marie-Hélène Cousineau et Madeline Piujuq Ivalu, qui a été peu vu et publicisé. Sous «l'ancien régime», ce très beau film atypique aurait sans doute été ignoré dans les catégories de pointe.

Il n'y aura jamais de mode parfait de désignation des finalistes dans un concours aussi subjectif que la Soirée des Jutra. Le jury de professionnels a accouché, à mon sens, d'un tableau de très bonne tenue, à l'image de la dernière année de cinéma québécois. Contrairement aux sélectionneurs des Oscars, ceux des Jutra n'ont pas succombé aux sirènes du box-office. Michel Côté et Rémy Girard ont pleinement mérité leur sélection dans les catégories d'interprétation pour De père en flic, mais le jury n'a heureusement pas confondu le «film le plus populaire» avec le «meilleur film» de l'année.

N'empêche: il y a toujours de grands oubliés, peu importe la méthode de sélection. À mon humble avis, le «grand oublié» de cette cuvée Jutra 2009 est Bernard Émond, absent de la catégorie du meilleur réalisateur pour La donation, qui n'a pas été retenu parmi les finalistes au Jutra du meilleur film. Cette fable languide et mélancolique, sur le devoir et l'engagement, méritait à mon sens meilleur sort. Comme du reste le brillant scénario de Polytechnique, signé Jacques Davidts, lui aussi écarté du tableau des finalistes.

La Soirée des Jutra aura lieu le 28 mars. Les résultats finaux seront déterminés, comme c'est la coutume, par les votes des membres des différentes associations professionnelles (réalisateurs, acteurs, etc.). À prévoir: un duel entre Polytechnique et J'ai tué ma mère. À moins que Dédé à travers les brumes ne brouille les cartes...