J'aime bien l'époque dans laquelle je vis. Mais parfois, j'ai quand même la nostalgie d'un temps que je n'ai pas connu, celui où le cinéma était au centre des grands débats politiques et sociaux. J'aurais voulu être à Cannes ou à Berlin au milieu des années 60 ou 70. Chaque fois que je mets les pieds dans un grand festival de cinéma, j'ai d'ailleurs toujours une pensée pour mon regretté collègue Luc Perreault. Qui a vécu ses jeunes années de critique au beau milieu de cette effervescence.

Célébrant cette année son 60e anniversaire, la Berlinale replonge dans ses souvenirs. Probablement plus que n'importe quel autre, ce festival s'est distingué du simple fait d'être tenu dans une ville symbolisant la fracture entre l'Est et l'Ouest pendant toute la durée de la guerre froide. Une enclave à l'intérieur même des frontières délimitées par le rideau de fer. En 1979, par exemple, les délégations du bloc de l'Est s'étaient toutes retirées - avec leurs films - en raison de la sélection de The Deer Hunter. Le film de Michael Cimino était vu comme «une insulte au peuple héroïque de la République socialiste du Vietnam». Deux membres du jury étaient aussi rentrés chez eux afin d'exprimer leur soutien aux dissidents.

L'Allemagne étant longtemps hantée par ses vieux démons, certaines présentations ont provoqué ici - et provoquent toujours - de vives émotions. Les journaux spécialisés rappelaient notamment cette semaine la projection de Nuit et brouillard en 1956. D'autant plus mémorable que le film d'Alain Resnais avait dû être retiré de la programmation du Festival de Cannes quelques mois auparavant à la suite des protestations véhémentes de l'ambassadeur allemand en France. Le scénariste Jean Cayrol, lui-même rescapé des camps nazis, avait alors fait pression auprès des responsables de la Berlinale, estimant que ce film devait être vu. Particulièrement par le public allemand. Lors de la première mondiale au Cinéma Capitol, Willy Brandt, futur chancelier, s'était adressé à la foule avant la projection en déclarant que «le peuple allemand ne devrait pas avoir le droit d'oublier».

Soixante-cinq ans après la fin de la guerre, le sujet reste sensible. Hier, Jew Suss - Rise and Fall, une superproduction très attendue, réalisée par Oskar Roehler (Les particules élémentaires), a été huée. À Berlin, c'est rare.

Le film relate les dessous d'une histoire véridique. En commandant une adaptation cinématographique d'une oeuvre de propagande nazie, Juif Süss, le ministre Joseph Goebbels a en effet souhaité produire un Cuirassé Potemkine allemand. Le récit aborde surtout la condition de l'artiste - le contexte est extrêmement particulier - à travers le parcours de l'acteur Ferdinand Marian (Tobias Moretti), élevé au rang de star par le régime nazi. Des thèmes similaires ayant déjà été abordés maintes fois - et en mieux - dans des films comme Le dernier métro, Laissez-passer ou même, d'une certaine façon, La vie des autres, on peut comprendre qu'une partie du public allemand ait été heurtée par le traitement lourd et très caricatural que privilégie Roehler. Des journalistes en colère ont par ailleurs mitraillé de questions le cinéaste et son scénariste à la conférence de presse en raison des libertés prises avec l'histoire. Surtout, Roehler a dû se défendre d'avoir dépeint Marian comme une «victime» alors que le comédien a tourné de nombreux autres films de propagande après Juif Süss. «Tous les propos tenus par des personnages historiques sont conformes à la vérité», a soutenu le réalisateur de façon peu convaincante.

Du coup, la 60e Berlinale a vécu sa première petite polémique. J'étais content.

Un tableau honorable

J'ai suivi tout cela de loin, mais le tableau des nominations annoncées mardi en vue de la prochaine soirée des Jutra me semble de belle tenue. Évidemment, on pourra trouver çà et là de petits impairs, mais le portrait d'ensemble est honorable. En tout cas beaucoup plus que ne l'était celui de l'an dernier.

À cet égard, il faut souligner la pertinence de la composition des jurys appelés à déterminer les finalistes, de même que le souci de transparence du comité de direction. Il m'a d'ailleurs fait plaisir de voir dans la liste des personnalités formant le jury le nom de ma collègue Louise Blanchard. Pendant des années, Louise a apporté rigueur et professionnalisme aux pages cinéma du Journal de Montréal, à une époque où le quotidien de la rue Frontenac, dont les employés sont en lock-out depuis 13 mois, publiait de vrais articles.