On a beaucoup parlé, depuis le printemps dernier, de l'impact de la fermeture de deux des trois salles de cinéma du complexe eXcentris sur la diffusion du cinéma étranger à Montréal. Une mauvaise nouvelle qui a fragilisé davantage la situation précaire de certains distributeurs spécialisés dans les films internationaux et dont les répercussions ont été sous-estimées par le milieu du cinéma.

Tout indique qu'une deuxième salle d'eXcentris rouvrira bientôt ses portes aux cinéphiles. Daniel Langlois, le patron du complexe, en négocie actuellement les modalités avec le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec.

En raison de la pénurie de salles pour le cinéma international, plusieurs films étrangers quittent prématurément l'affiche, bousculés par des nouveautés, ou ne sont jamais diffusés. Le cinéphile y perd forcément au change. La distribution de films français, en particulier, est anémique. Moins il y a de films français diffusés, moins il y a de public. Moins il y a de public, moins il y a de films français. Un cercle vicieux.

Il n'est pas étonnant, dans les circonstances, que les distributeurs soient devenus beaucoup plus prudents dans leurs acquisitions de films étrangers. Certains ont considérablement diminué leurs activités internationales, d'autres ne misent plus que sur des valeurs sûres (lauréats de festivals prestigieux, succès commerciaux, etc.). Résultat: quantité de bons films étrangers n'arrivent plus sur nos écrans.

Le déficit de salles y est pour beaucoup. Mais un autre facteur dissuasif pour les distributeurs n'a rien à voir avec le grand écran. Depuis quelque temps, le cinéma international a été progressivement abandonné par les télédiffuseurs. Or, c'est la diffusion ultérieure d'un film à la télévision (et les milliers de dollars y étant rattachés) qui permet aux distributeurs de cinéma international de faire leurs frais.

Les films étrangers sont d'abord achetés par la télé payante (Super Écran), puis par les chaînes conventionnelles. Comme Super Écran détient en quelque sorte un monopole, il n'y a pas de concurrence pour la négociation des prix de diffusion comme en Europe. Aussi, Super Écran diffuse peu de cinéma d'auteur international.

C'est déjà plus que TVA et V, qui proposent essentiellement des blockbusters américains. V diffuse d'ailleurs moins de cinéma que ne le faisait TQS il y a cinq ans. Le tableau n'est guère plus reluisant à Radio-Canada. La télévision publique réservait traditionnellement une case de choix au cinéma. Mais les «Grands films», diffusés il y a quelques années à heure de grande écoute, le samedi de 20h à 22h, ont cédé leur place à des séries américaines doublées (Dre Grey, leçons d'anatomie et Frères et soeurs).

Radio-Canada réserve désormais quatre plages horaires à la diffusion du cinéma. Le film du samedi, à 15h, intéresse une audience respectable (environ 250 000 spectateurs). Mais ceux du dimanche, à 2h du matin et à 11h50, ou du lundi, à 2h22 du matin, attirent en moyenne moins de 20000 téléspectateurs. Entre ça et diffuser des bandes colorées.

On parle ni plus ni moins d'une démission de la télévision publique vis-à-vis du cinéma. D'autant plus que la qualité des oeuvres diffusées est très variable. Le 27 décembre, par exemple, Radio-Canada proposait en soirée la comédie régressive Wedding Crashers (avec Owen Wilson et Vince Vaughn) pendant qu'à V, était diffusé Syriana (qui a valu un Oscar à George Clooney).

Pour voir du cinéma étranger de qualité, il faut se tourner vers Télé-Québec, le seul parmi les réseaux généralistes à ne pas diffuser de publicité pendant ses films (on y présentait récemment l'excellent 4 mois, 3 semaines et 2 jours, du Roumain Cristian Mungiu). Des chaînes câblées comme TFO et ARTV font également des efforts pour proposer des films d'auteur dignes d'intérêt (In the Mood for Love de Wong Kar-waï était diffusé à ARTV la semaine dernière, comme Les égarés d'André Téchiné à TFO).

Le problème, selon certains distributeurs, c'est que ces chaînes modestes ne peuvent investir des sommes considérables pour l'acquisition des droits de films récents, qu'elles sont de plus en plus préoccupées par les cotes d'écoute et inversement susceptibles de prendre des risques avec des films méconnus. Les télédiffuseurs négocient constamment les prix des films à la baisse, disent les distributeurs (d'ordinaire, ces chaînes paient de 5000$ à 15 000$ pour les droits de diffusion d'un film sur une période de trois ou cinq ans).

Cette désaffection des télédiffuseurs pour le cinéma est une tuile de plus non seulement pour les distributeurs, mais pour les cinéphiles. La participation des télédiffuseurs permettait aux distributeurs de miser sur certains films plus exigeants, sans craindre d'y laisser leur chemise. Sans cette garantie, ils sont forcément plus frileux.

Pendant ce temps, le cinéma international de qualité se fait de plus en plus rare. Au petit comme au grand écran.