Hollywood a toujours préféré les femmes devant, plutôt que derrière la caméra. À tel point qu'une expression a été consacrée pour résumer la difficulté systématique des femmes à faire leur place dans la hiérarchie du cinéma américain: «Celluloid Ceiling» (le plafond de pellicule).

La victoire de Kathryn Bigelow à la soirée des Oscars dimanche n'est pas la preuve que la situation des réalisatrices a évolué pour le mieux à Hollywood. Bien au contraire. Le sacre de Sainte-Kathryn, auréolée du premier Oscar remis à une femme pour la réalisation d'un film en 82 ans, reste l'exception qui confirme la règle.

Deux des dix oeuvres candidates à l'Oscar du meilleur film de 2009 ont été réalisées par des femmes: The Hurt Locker et An Education de Lone Scherfig. Vingt pour cent. C'est peu, mais c'est plus du double du pourcentage de réalisatrices et de femmes scénaristes qui travaillent régulièrement à Hollywood.

Selon une étude du Centre d'études des femmes en télévision et cinéma de l'Université de San Diego, seulement 7 % des 250 films les plus populaires en Amérique du Nord l'an dernier ont été réalisés par des femmes. Et seulement 8 % de ces longs métrages ont été scénarisés en entier ou en partie par des femmes. La situation n'a d'ailleurs pratiquement pas évolué depuis 25 ans (en 2008, 9 % des films les plus populaires étaient l'oeuvre d'une réalisatrice).

Avant sa rafle de dimanche, Kathryn Bigelow a aussi été au cours des dernières semaines la première femme à remporter le BAFTA de la meilleure réalisation (en Grande-Bretagne) et la seule, depuis 1948, à remporter le prestigieux prix du syndicat des réalisateurs américains, la Directors Guild of America.

La DGA compte environ 8500 réalisateurs actifs, dont seulement 13 % de femmes. Aucune d'entre elles n'a encore eu l'occasion de piloter un projet doté d'un budget supérieur à 100 millions de dollars, la nouvelle norme des blockbusters hollywoodiens.

Kathryn Bigelow, 58 ans, boudée par Hollywood depuis l'échec commercial de son dernier film K-19, The Widowmaker en 2002 (65 millions de recettes pour un budget, justement, de 100 millions), a réalisé The Hurt Locker avec moins de 15 millions de dollars, l'équivalent hollywoodien d'une poignée d'arachides sans écailles. Avant dimanche, ce film grand public au regard d'auteur n'avait amassé, malgré des critiques dithyrambiques, que 13 millions au box-office nord-américain.

Du jour au lendemain, Kathryn Bigelow est devenue l'icône de l'émergence d'un cinéma féminin à Hollywood. L'ironie, c'est que la cinéaste a fait sa marque dans un univers essentiellement masculin en réalisant des films de gars archétypaux, qui font bang! et boum! Son oeuvre est chargée de testostérone, à l'image de The Hurt Locker, et elle a été révélée par Point Break (1991), un film d'action sur un agent du FBI qui infiltre une bande de surfeurs criminels.

Aussi, le triomphe de The Hurt Locker aux Oscars a plus à voir avec la qualité de la réalisation, tendue, soignée et efficace, qu'avec le sexe de sa cinéaste. Tant mieux. Kathryn Bigelow semble d'ailleurs réticente à devenir la porte-parole d'un mouvement d'affirmation féminine et n'a pas du tout fait allusion au caractère historique de sa victoire, au moment de cueillir son trophée.

Est-ce à dire qu'il faut faire des «films de gars» pour avoir du succès à Hollywood et gagner des Oscars? Espérons que non. Sauf que parmi les quelque 400 finalistes à l'Oscar de la meilleure réalisation avant dimanche, trois seulement étaient des femmes: Lina Wertmuller (1976), Jane Campion (1993) et Sofia Coppola (2003).

Kathryn Bigelow a ouvert une brèche dans le plafond de pellicule. Il était grand temps. Ce serait naïf de croire que le plafond n'est plus là.