Dans le nouveau film de Roman Polanski, The Ghost Writer (à l'affiche la semaine prochaine), Adam Lang (Pierce Brosnan) apprend qu'il sera traduit en justice au Tribunal pénal international de La Haye. L'ancien premier ministre britannique, que l'on pourrait confondre avec un certain Tony Blair, est accusé d'avoir fermé l'oeil sur des crimes de guerre au Pakistan.

À l'instar de Blair, Lang semble avoir été l'allié idéal des États-Unis à l'occasion de l'invasion de l'Irak, ne s'opposant jamais aux desiderata américains. Il séjourne d'ailleurs dans une luxueuse villa, dans une île au large de Cape Cod (Martha's Vineyard?), lorsqu'un mandat d'arrêt international est émis contre lui.

«They hung you out to dry» («Ils t'ont abandonné comme une vieille chaussette»), lui disent ses conseillers à propos des anciens ministres de son cabinet, qui le désavouent publiquement. Son entourage lui suggère, dans la foulée, de ne pas quitter les États-Unis afin d'éviter l'extradition. D'autres pays comme la Corée du Nord, l'Iran, Israël, et quelques États africains ne reconnaissent pas non plus le tribunal de La Haye, lui précise un assistant, en tentant de se faire rassurant sur ses possibilités de déplacements.

Voilà Adam Lang coincé aux États-Unis et interdit de séjour chez lui, en Grande-Bretagne, par crainte de représailles judiciaires. On ne peut s'empêcher de sourire, à cette scène d'un humour typiquement polanskien, en pensant au cinéaste, lui-même assigné à résidence à Gstaad, en Suisse, en attente d'une extradition aux États-Unis. C'est en prison, puis dans son chalet luxueux, qu'il a fait les derniers ajustements à son film.

On nage ici en pleine ironie - les États-Unis comme prison dorée d'un fugitif, dans un film de Roman Polanski -, nourrie par l'humour caustique habituel du cinéaste de Cul-de-sac. Polanski, pour ceux qui n'auraient pas lu un journal depuis plusieurs mois, a fui les États-Unis en 1978 après avoir violé une mineure, présume la justice américaine; il a été arrêté à son arrivée à un festival de film à Zurich, en septembre dernier, provoquant hauts cris et haut-le-coeur, ainsi que quantité de dialogues de sourds.

L'ironie du regard posé par Polanski sur la traque politico-médiatique de l'accusé Lang est aujourd'hui magnifiée par la nature presciente de The Ghost Writer. Le film est tiré du roman The Ghost, publié en 2007 par Robert Harris (devenu coscénariste du film avec Polanski), un ancien journaliste politique que l'on a dit proche de Tony Blair pendant son premier mandat. «Bien sûr que j'ai voté pour lui. Ce n'était pas un politicien mais un messie», dit de Lang son «nègre» littéraire (Ewan McGregor), chargé de compléter l'autobiographie du politicien après la mort mystérieuse de son prédécesseur.

Évidemment, l'intérêt de The Ghost Writer ne se limite pas aux parallèles évidents à tracer entre réalité et fiction. Ceux qui concernent Polanski lui-même, comme ceux de la politique internationale récente (références directes à George W. Bush, jamais nommé, et à Condoleezza Rice). Robert Harris s'est peut-être aussi inspiré en partie du suicide, en 2003, du Dr David Kelly, un expert en armement qui avait révélé à la BBC que le gouvernement Blair avait manipulé des informations afin d'influencer l'opinion publique en faveur de la guerre en Irak. Ici, la multinationale soupçonnée d'influence politico-stratégique se nomme Hatherton, pas Halliburton...

Le premier thriller de Roman Polanski depuis 20 ans est extrêmement soigné. La mise en scène porte sa signature unique et l'on ne s'étonne pas qu'elle lui ait valu l'Ours d'argent au dernier Festival de Berlin. The Ghost Writer est un film d'angoisses et d'ambiguïtés, où le personnage principal interprété par Ewan McGregor va de découverte intrigante en découverte inquiétante sur Adam Lang, son entourage et leur passé. La trame sonore, vaguement rétro, est à l'avenant.

On regrettera une intrigue un peu juste, le jeu peu inspiré de Kim Cattrall en maîtresse de Lang et un dénouement alambiqué, déclenché par une recherche Google (!). Je n'en dis pas plus. On appréciera, en revanche, ces touches d'humour subtiles, à l'image de l'oeuvre du cinéaste. Un exemple parmi tant d'autres: ce jardinier balayant en vain des feuilles qui partent au vent. J'ai pensé à Tati.

The Ghost Writer m'a aussi fait penser, d'emblée, au plus récent film d'un autre maître, Shutter Island de Martin Scorsese, à l'affiche depuis quelques semaines. Un suspense insulaire qui commence sur un traversier, un traitement somme toute conventionnel, mais une vision, un savoir-faire, un talent immense qui s'affiche sans effort à l'écran, au moment où l'on s'y attend le moins.

The Ghost Writer n'est pas le meilleur Polanski comme Shutter Island n'est pas le meilleur Scorsese, mais ce sont indéniablement de bons crus. On ne peut pas tous les jours réaliser Taxi Driver, ni Chinatown. Même quand on semble avoir le don de prévoir l'avenir.