Après avoir fait sensation à la Quinzaine des réalisateurs l'an dernier avec son premier film J'ai tué ma mère, Xavier Dolan retournera sur la Croisette, cette fois par la porte d'entrée officielle. Les amours imaginaires, deuxième long métrage du jeune cinéaste québécois, a en effet été retenu dans la section Un certain regard par le comité organisateur du Festival de Cannes. Le programme de cette section, rappelons-le, est composé parallèlement à celui de la compétition officielle. Dolan y côtoiera des icônes comme Jean-Luc Godard ou Manoel de Oliveira, ce dernier à peine de 81 ans son aîné!

«À mon sens, il s'agit du véhicule idéal pour mon deuxième film, a commenté hier l'auteur cinéaste après avoir appris sa sélection. J'en suis évidemment très flatté, mais je vois aussi dans cette invitation un caractère protecteur. Comme un appui, un encouragement de la part des organisateurs envers un cinéaste qui rêve d'être de la compétition un jour.»

Après toute la folie médiatique dans laquelle il a été plongé l'an dernier, Xavier Dolan sait très bien qu'une sélection en compétition officielle aurait été plus difficilement gérable. Les films de la catégorie phare du festival sont d'évidence beaucoup plus exposés. Et débattus.

«L'an dernier à la Quinzaine, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre. Jamais je n'aurais pu deviner une réception de cette ampleur. Cette fois, je me rends à Cannes en toute connaissance de cause, sans attentes démesurées sur le plan de la couverture médiatique. À vrai dire, je ne souhaite pas un tourbillon comme l'an dernier, plutôt même un certain répit de ce côté. Je crois qu'en inscrivant mon film à Un certain regard, les organisateurs me témoignent une certaine confiance et m'encouragent à poursuivre mon travail. J'espère seulement être à la hauteur des espoirs qu'ils investissent en moi.»

On sent aussi, dans les propos mesurés du jeune homme, l'envie de confronter directement le doute qui le ronge par rapport à l'incroyable accueil qu'a obtenu J'ai tué ma mère, grand vainqueur aux Jutra récemment, depuis sa toute première projection à la Quinzaine il y a près d'un an.

«Je ne sais toujours pas si ceux qui ont apprécié le film l'ont aimé par compassion ou par raison, s'interroge-t-il. À un moment donné, tu as hâte de passer à un autre appel, d'avoir l'occasion de montrer que tu ne souhaites pas être un one hit wonder. Je veux faire des films. Certains seront bons; d'autres moins. Je sais très bien que je ne peux pas faire l'unanimité.»

Dans l'urgence

Pour Dolan, ce deuxième long métrage, tourné dans l'urgence avec à peine plus de moyens que le premier, arrive à point nommé. Produit par la même équipe que J'ai tué ma mère (Carole Mondello et Daniel Morin entourent Dolan), Les amours imaginaires relate l'histoire de deux amis (Monia Chokri et Xavier Dolan) qui, épris du même garçon (Niels Schneider), se livrent un duel malsain.

«Les amours imaginaires est très différent de J'ai tué ma mère par le style, le ton, la légèreté, explique Dolan. Il s'agit d'un film générationnel sur une chute amoureuse, dépeinte avec cynisme. Par rapport au premier, je dirais que c'est un film de jeune adulte plutôt qu'un film adolescent. Sincèrement, je trouve ce film plus abouti, mieux maîtrisé sur le plan de l'exécution.»

Un projet plus ambitieux, Laurence Anyways - coproduit avec la France -, devrait en principe constituer son prochain long métrage. Dolan s'estime chanceux d'avoir pu tourner Les amours imaginaires avant. «Si je m'étais lancé dans Laurence Anyways tout de suite, je me serais cassé la gueule c'est sûr, dit-il. Trop ambitieux, trop sérieux, trop d'argent, trop de trop!»

En attendant, Xavier Dolan se retrouve à porter seul les couleurs du Québec sur la Croisette en sélection officielle. Il s'agit d'un honneur auquel, Denys Arcand mis à part, aucun cinéaste d'ici n'avait eu droit depuis Denis Villeneuve en 1998. Incendies, le nouveau film du réalisateur d'Un 32 août sur terre, n'a incidemment pas été retenu, mais aurait été considéré jusqu'à la dernière étape. L'équipe du film ne cachait pas sa déception hier, mais compte néanmoins se faire valoir sur le circuit des grands festivals l'automne prochain.

Au Québec, Les amours imaginaires prendra l'affiche en salle le 11 juin, soit pratiquement un an jour pour jour après la sortie de J'ai tué ma mère.

«Je sais qu'il y en a qui m'attendent avec une brique et un fanal, reconnaît Xavier Dolan. Pourquoi ne pas souhaiter qu'un film puisse être bien, tout simplement?»

Compétition alléchante mais sans éclat

Du côté de la compétition officielle, le délégué général Thierry Frémaux s'est clairement laissé une marge de manoeuvre d'ici le début du festival, car seulement 16 titres ont été annoncés. Peu de pointures (par rapport à l'an dernier), mais de grands noms néanmoins, parmi lesquels deux anciens lauréats de la Palme d'or (Mike Leigh et Abbas Kiarostami). Avec des oeuvres réalisées par des cinéastes comme Alejandro González Iñárritu, Nikita Mikhalkov, Takeshi Kitano, Bertrand Tavernier, Xavier Beauvois, et l'enfant chéri du cinéma thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, entre autres, le festivalier aura quand même de quoi se nourrir l'oeil et l'esprit. Le 63e Festival de Cannes se tiendra du 12 au 23 mai.

Les chaises pliantes

Bravo à l'équipe de Polytechnique pour son triomphe aux Genie Awards, cette cérémonie récompensant les meilleurs films canadiens de l'année. Il y a toutefois lieu de dénoncer cette décision absurde des diffuseurs, The Independent Film Channel et CBC.ca, de diffuser la cérémonie en différé de deux heures, alors que les résultats circulent déjà sur tous les médias sociaux. Et puis, il faudrait peut-être organiser cette cérémonie ailleurs que dans une salle paroissiale où les convives semblent avoir été invités à apporter leurs propres chaises pliantes. Me semble que ça fait un peu cheap...