Ils vont «l’haïr» encore plus. Ce fut ma première réaction en apprenant, tôt jeudi matin, que le deuxième film de Xavier Dolan, Les amours imaginaires, avait été retenu en sélection officielle par le Festival de Cannes.

J’ai tout de suite pensé au sketch que Simon Olivier Fecteau a récemment conçu autour de Xavier Dolan pour sa délirante série En audition avec Simon, présentée sur Tout.tv. Fecteau, dans son personnage de réalisateur maladroit, reçoit Dolan en le félicitant pour son film, son parcours cannois, sa sélection par le Canada pour l’Oscar du meilleur film étranger, «et tout ça». Mais très rapidement, sa jalousie est apparente.

«Nous autres, ce qui est plate, c’est qu’on n’avait pas un oncle qui travaille à Cannes pour nous faire rentrer au Festival», dit Fecteau, en parlant de son propre premier long métrage, Bluff, coréalisé avec Marc-André Lavoie.

«Pardon?» répond Xavier Dolan, éberlué. On pourrait croire à une caricature grossière. Pourtant, lorsque Fecteau fait dire malgré lui à son assistant et souffre-douleur (Étienne de Pasillé, excellent) que J’ai tué ma mère a été «surestimé» et «qu’on on a crié trop rapidement au génie», il offre un condensé de l’envie et de la jalousie manifestée depuis un an par nombre de jeunes cinéastes à l’endroit de Dolan.

J’en ai été témoin: le ressac anti-Dolan a été quasi immédiat. Dans la foulée de son passage remarqué à la Quinzaine des réalisateurs (où il a raflé trois prix sur une possibilité de quatre), la réaction de ses détracteurs a été épidermique.

Il est brillant, exubérant, verbomoteur, baveux, frondeur, provocateur, érudit, sûr de lui. En plus, il est conscient de son talent et de sa valeur, et affiche naturellement la prétention de son jeune âge et de son succès. C’était trop. Il avait tout pour se rendre insupportable à leurs yeux (le toupet, les lunettes, la face à claques) et c’est ce qui est arrivé. Malgré tous ses succès, quantité de jeunes artistes, pourtant capables de discernement, refusent de lui reconnaître un quelconque talent. Ce n’est d’ailleurs pas de son talent qu’ils sont envieux, mais de la reconnaissance de ce talent.

Ce n’est rien à côté du mépris affiché sous l’anonymat pratique du web ou du commérage de salon (son équivalent) par ceux qui ne sont «pas capables de sentir» Xavier Dolan. Ceux-là, faisant pâlir la parodie de Simon Olivier Fecteau, s’imaginent que le jeune cinéaste doit tout son succès à des cachets de doublage, à un père dans le show-business et à une presse québécoise complaisante. Évidemment...

Il faudra que l’on m’explique comment être lié par le sang à Manuel Tadros et risquer toutes ses économies pour réaliser un premier film, sans l’aide des institutions, est de quelque façon le gage d’un succès instantané au Festival de Cannes, à la Soirée des Jutra et à celle des Césars (où J’ai tué ma mère a été finaliste dans la catégorie du meilleur film étranger).

M’est avis que ce phénomène de ressac, d’envie et de jalousie, se résume à une phrase bien de notre époque: «Pourquoi pas moi?»

Dans la famille, officiellement

J’ai tué ma mère a été sélectionné, à pareille date l’an dernier, dans une section parallèle du Festival de Cannes. Devenu la coqueluche du Festival, Xavier Dolan s’est fait dire, à la toute fin de son séjour sur la Croisette, «à bientôt» par le délégué général du Festival, Thierry Frémaux.

Le grand manitou de la programmation a tenu parole. Les amours imaginaires atterrit en sélection officielle, dans la section Un certain regard. Le premier film canadien à y être présenté depuis l’excellent Atanarjuat de Zacharias Kunuk, en 2001.

Elle a beau être exceptionnelle, la sélection à Cannes d’un deuxième film de Xavier Dolan en deux ans ne surprend pas outre mesure. Thierry Frémaux, toujours à l’affût de talents émergents, a voulu faire de Dolan un membre «officiel» de la famille cannoise et souhaite suivre son évolution. Il s’est défendu jeudi d’avoir sélectionné le jeune Québécois sur la base de son âge.

«Il a réalisé un très beau film. C’est la raison première qui nous amène à sélectionner un film. C’est un jeune réalisateur plein de créativité et dont on est content de faire en sorte qu’après la Quinzaine des réalisateurs il puisse continuer son bout de chemin avec le Festival de Cannes», a déclaré Frémaux.

Xavier Dolan, qui vient d’avoir 21 ans, se retrouvera dans la section Un certain regard aux côtés de Jean-Luc Godard et de Manoel de Oliveira, de 80 ans son aîné. Un écart d’âge inédit, sans doute. Il sera le seul cinéaste canadien de la sélection officielle du Festival de Cannes, qui roulera du 12 au 23 mai.

Bien sûr, une sélection officielle ne garantit pas la qualité d’un film. Les contre-exemples sont légion. Mais celle des Amours imaginaires nous permet de croire – on s’en doutait, que Xavier Dolan n’est pas l’homme d’un seul film de jeunesse autobiographique. Cette histoire d’un triangle amoureux entre deux amis (interprétés par Monia Chokri et Dolan lui-même) et l’objet de leurs fantasmes (Niels Schneider, l’amant du pensionnat de J’ai tué ma mère) doit prendre l’affiche le 11 juin au Québec. Il y sera attendu par certains, c’est entendu, avec une brique et un fanal.