Honnêtement, je ne m'y attendais pas. À la sortie de la projection deThe Trostsky, la délicieuse comédie de Jacob Tierney (à l'affiche vendredi prochain), j'ai pratiquement retrouvé ma fierté de Montréalais. Dans le contexte actuel, c'est un genre d'exploit. Il n'y a pourtant pas grand-chose qui corresponde à ma réalité dans ce film, si ce n'est l'idéalisme naïf d'un ado - auquel j'aurais pu souscrire à une certaine époque - qui compte se battre pour ses idées. Mais j'ai néanmoins reconnu ma ville, ses gens, sa schizophrénie, sa richesse culturelle. Et l'humour collectif qui cimente tout ça. Parce qu'il le faut bien.

The Trotsky est un film québécois anglophone. De nationalité montréalaise. Il fait de la ville du Canadien une société distincte en elle-même. On n'y retrouve pas le Montréal de Michel Tremblay, encore moins celui de Mordecai Richler. Le Montréal que nous propose Tierney à l'écran est foncièrement actuel. Et fait plutôt écho aux réalités plurielles qui en font le tissu. Ou plutôt, la courtepointe. Pour un peu, on pourrait presque y entendre un «Vive le Montréal libre!».

C'est ce qui m'a le plus frappé dans The Trotsky. Les dialogues sont presque entièrement en anglais, mais le caractère francophone d'une ville où rien n'est jamais simple n'en est pas évacué pour autant. Même dans les cercles familiaux (Anne-Marie Cadieux incarne la mère de Léon Bronstein, dit Trotsky), les petits mots d'affection, les réactions plus spontanées, bref, tout ce qui ressort d'un caractère plus instinctif est livré dans la langue de Molière. Les démêlés avec les forces de l'ordre aussi...

À l'arrivée, cette tendre comédie emprunte les allures d'un chant d'amour à Montréal, cette métropole reconnue internationalement comme capitale du bagel, du smoked meat et des nids-de-poule. Il en émane une véritable affection pour son caractère unique. L'école que fréquente Léon fait d'ailleurs partie du «J. Parizeau English School Board», c'est dire.

«C'est à mon sens un véritable hommage, me racontait Jacob Tierney cette semaine. Chaque fois que monsieur Parizeau s'adressait à nous en anglais, nous n'en revenions pas de la qualité de sa langue!»

À 30 ans, Jacob Tierney est véritablement un enfant de la loi 101. Contrairement à certains de ses aînés, qui préféraient vivre en autarcie plutôt que de reconnaître la société dans laquelle ils vivaient, l'auteur cinéaste célèbre son statut minoritaire au sein d'une communauté majoritaire, elle-même en minorité - bonjour Elvis Gratton - au sein d'un pays et d'un continent.

«J'estime que c'est une richesse, me dit-il dans un français impeccable, passant toutefois dans la langue de Shakespeare pour faire valoir un point. «Je ne voudrais pas vivre ailleurs. Mes racines sont à Montréal. Mon monde est ici. J'ai vécu cinq ans à Toronto et je suis revenu dès que j'ai pu. Là-bas, comme partout ailleurs en Amérique du Nord, c'est l'étranger pour moi. On croit souvent que les anglos de Montréal peuvent se sentir chez eux partout au Canada, mais ce n'est pas vrai. Au référendum de 1995, j'étais alors ado, mes amis et moi regardions le love fest organisé par le ROC et on se disait What the fuck was that? On n'existe jamais à leurs yeux et là, tout d'un coup, ils s'intéressent à nous?»

Tierney, c'est clair, a envie de faire un cinéma qui correspond à sa réalité montréalaise, tout simplement parce que celle-ci n'est pratiquement jamais montrée. «Ni dans le cinéma québécois franco ni dans le cinéma québécois anglo, lequel évoque souvent une époque révolue, précise-t-il. Les deux cultures s'entremêlent rarement.»

À cet égard, il sera intéressant de suivre l'écho qu'aura ce long métrage dans sa propre ville, de même qu'au sein de la profession. The Trotsky étant une production québécoise à part entière, toutes les catégories lui seront ouvertes aux Jutra l'an prochain. De son côté, l'auteur cinéaste souhaite ardemment que son film intéresse le public francophone, d'autant qu'il prend l'affiche aussi en version française. But if not, it's our loss buddy...

De Barcelone à Cannes

Je m'envole vers Cannes au cours des prochains jours. Le 63e Festival commence mercredi avec la présentation du Robin Hood de Ridley Scott. Xavier Dolan est le seul Québécois à avoir été invité sur la Croisette cette année. La première mondiale de son nouveau film - Les amours imaginaires a été sélectionné à Un certain regard - aura lieu le 15 mai. Cela dit, un autre cinéaste bien de chez nous pourra être aperçu dans les parages du Palais des festivals. Simon-Olivier Fecteau, célèbre amant de Barcelone, prend aussi la direction de la Croisette avec son court métrage Le technicien. Le coréalisateur de Bluff est en effet en lice au Short Film Corner, un espace professionnel où des courts métrages venus du monde entier bénéficient d'une belle vitrine, sans toutefois être liés à la sélection officielle du Festival ou à la Cinéfondation. L'histoire ne dit cependant pas qui, dans son entourage, a pu «faire rentrer» le cinéaste à Cannes...*

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*Clin d'oeil à la capsule qu'a réalisée Fecteau avec Xavier Dolan dans le cadre de la très marrante série En audition avec Simon, disponible sur Tou.tv