C'est l'histoire d'un étudiant déluré de 17 ans, brillant, insolent, idéaliste et casse-pied, convaincu d'être la réincarnation du révolutionnaire russe Leon Trotski. Il se nomme Leon Bronstein, comme son maître à penser, sauf qu'il n'est pas né en Ukraine au XIXe siècle, mais dans l'Ouest de Montréal dans les années 90.

Il veut épouser une fille nommée Alexandra, de neuf ans son aînée - comme l'a fait Trostki - et trouver, préférablement avant 21 ans, un dénommé Vladimir Oulianov (dit Lénine), en faire son compagnon d'armes et déclencher une nouvelle révolution bolchévique.

La trame de The Trotsky, charmante comédie adolescente de Jacob Tierney, à l'affiche vendredi, est parfaitement improbable. C'est pourtant la fiction la plus réaliste que j'ai vue sur le Montréal anglophone de notre époque.

On y parle surtout l'anglais, évidemment, même si la réalité française de Montréal n'a pas été complètement gommée, contrairement à d'autres productions anglo-canadiennes tournées chez nous.

Au Montreal West High School, où le nouvel élève Leon Bronstein (Jay Baruchel, excellent) fomente une rébellion gauchiste, il y a parmi les Skip et autres Sheila une Marie-Soleil et une Denise Archambault, directrice de commission scolaire incarnée par Geneviève Bujold.

Dans l'entourage de Leon, il y a aussi un prof de droit de l'Université McGill, ex-leader étudiant soixante-huitard, qui fume du pot avec sa jeune compagne francophone, des adolescents endormis qui ne sont pas pour autant abrutis, et une belle-mère enthousiaste (Anne-Marie Cadieux, étonnante), qui passe naturellement du français à l'anglais en étant plus juive qu'une mère juive.

J'ai vu The Trotsky hier et je n'y ai pas trouvé qu'un Montréal anglo parfaitement crédible. J'y ai aussi reconnu le Montréal de mon enfance et de mon adolescence, passées dans l'ouest de la ville puis dans l'Ouest de l'île. J'ai retrouvé ce Montréal multiethnique que j'ai côtoyé très jeune, au point de ne jamais trouver étranges (ni étrangers) les patronymes de mes amis Braganza, Pattantyus, Bacchiochi, Babouder ou Garanzotis.

Je m'y suis tellement reconnu - j'ai trop lu Sartre pour mon propre bien dans la candeur de l'adolescence -, qu'en sortant du cinéma, malgré ce film plein d'esprit qui ne se prend pas au sérieux, j'ai repensé sérieusement à mes 17 ans. Et à cette prise de conscience de ce qu'est l'assimilation à la culture de masse.

J'ai grandi dans un milieu anglophone: soccer en anglais, hockey en anglais, petits amis anglophones, télé et cinéma en anglais. Il n'y avait que l'école pour nous obliger à parler français. Encore qu'à la récréation, c'est souvent l'anglais qui dominait les conversations, même entre francophones.

Mes parents gaspésiens souhaitaient que leurs enfants deviennent bilingues. Ils ont été consternés de constater qu'entre nous, à 14-15 ans, la communication se faisait plus souvent en anglais qu'en français. À ce jour, instinctivement, je m'adresse autant à mes frères et ma soeur dans la langue de Cronenberg que dans celle d'Arcand.

À 17 ans, j'ai compris ce qu'était l'assimilation. J'ai constaté ma propre déculturation. J'ai saisi ce que serait le Québec sans Charte de la langue française. J'ai pris conscience de la fragilité de ma langue et de ma culture dans notre contexte géopolitique.

Le personnage de Leon Bronstein, qui a le même âge, me l'a bizarrement rappelé hier. Je dis bizarrement, parce qu'il n'est aucunement question d'assimilation ou de géopolitique québécoise dans The Trotsky. Ni de tensions entre anglophones et francophones, bien au contraire.

Le cinéaste Jacob Tierney, 30 ans, se dit lui-même un enfant de la loi 101. C'est un Montréalais francophile, qui n'a pas hésité à utiliser les chansons de Malajube pour la bande originale de son film. The Trotsky est d'une certaine façon, c'est évident, une lettre d'amour à Montréal. En particulier à ce Montréal anglo, si accueillant qu'on en perd son latin.