Aucun cinéaste n'a dénoncé avec plus d'acuité le régime obscurantiste, homophobe, misogyne et antisémite de la République islamique d'Iran. Aujourd'hui, Jafar Panahi, 49 ans, paie le lourd prix de sa fronde. Il croupit dans sa geôle depuis le 1er mars, se dit victime de mauvais traitements, et a entamé dimanche une grève de la faim.

Il devait être du jury de la compétition de l'actuel Festival de Cannes. Une chaise vide y symbolise sa détention arbitraire. Le crime de Jafar Panahi: avoir voulu réaliser un film sur le soulèvement populaire causé par la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad. Crime de lèse-majesté dans un pays qui réprime toute forme de dissidence.

Perles de larmes sur un visage diaphane, Juliette Binoche a appris comme nous tous, mardi, pendant la conférence de presse du nouveau film d'Abbas Kiarostami («grand frère» de Panahi), la triste nouvelle de cette grève de la faim. Image forte d'impuissance, de tristesse et d'indignation, relayée partout dans le monde.

J'ai repensé à Neda. À cette femme de 26 ans, tuée par balle lors d'une manifestation d'opposants au régime iranien, en juillet dernier. À la vidéo de sa mort, lancée sur le web comme une bouteille à la mer, maculée de sang. J'ai repensé à son professeur de musique, un autre Panahi, Hamid, témoin de son dernier souffle, répétant en farsi: «N'aie pas peur, Neda ma chérie, n'aie pas peur...». Mort absurde d'une martyre de l'opposition. Emprisonnement injuste d'une icône de la contestation.

Lors d'un rassemblement d'opposants au régime, venus rendre hommage à Neda et aux autres victimes de la répression, Jafar Panahi avait été arrêté avec sa famille au cimetière de Téhéran, quelques semaines plus tard. Finalement relâché, il avait pu présider comme prévu le jury de la compétition du Festival des films du monde, fin août, à Montréal.

L'épreuve ne l'avait pas convaincu de se taire, bien au contraire. Ce n'est, du reste, pas dans sa nature. Dans la presse québécoise, il en avait appelé à la fin du régime et de ses exactions, conscient du risque qu'il courait à son retour à Téhéran.

Depuis Le ballon blanc, Caméra d'or à Cannes en 1995, Jafar Panahi dénonce à la ville comme au cinéma les injustices sociales de son pays. Le cercle, Lion d'or de Venise en 2000, est un réquisitoire vibrant, d'une formidable subtilité, contre la répression des femmes iraniennes. Offside, Ours d'argent de Berlin en 2006, dénonce tout autant le sexisme systémique de la société iranienne. Deux films sous forme de pied de nez aux autorités, qui ont été interdits de diffusion en Iran.

Célébré dans tous les festivals du monde (Le miroir a remporté en 1997 le Léopard d'or au Festival de Locarno, Sang et Or le Prix du jury d'Un certain regard à Cannes en 2003), Jafar Panahi a choisi consciemment de se servir de sa notoriété pour combattre le régime de l'intérieur, en faisant entendre la voix des siens à l'étranger. Héraut des opprimés, son refus obstiné du silence et de l'exil lui coûte aujourd'hui sa liberté. Prisonnier de conscience, prêt à mourir pour ses idées.

Dans une lettre rendue publique mardi, Panahi fait part de sa volonté de contacter et de voir sa famille, avec l'assurance totale de leur sécurité. Il exige le droit d'avoir et de communiquer avec un avocat, après 77 jours d'emprisonnement, et demande sa libération sans condition, jusqu'au jour du verdict de son procès.

«Enfin, écrit-il, je jure sur ma croyance, le cinéma: je ne cesserai ma grève qu'une fois mes volontés assouvies. Ma dernière volonté est que ma dépouille soit rendue à ma famille pour qu'elle puisse m'enterrer où elle le souhaite.»

Par son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et son collègue de la Culture Frédéric Mitterrand, la France a appelé le week-end dernier à la libération immédiate de Jafar Panahi, en enjoignant de Téhéran de «respecter le droit fondamental à la liberté d'expression et de création pour les Iraniens». La communauté internationale devrait l'imiter.

Pas seulement pour Jafar Panahi. Pour que la voix du peuple iranien soit entendue. Pour que Neda, et tous les autres, ne soient pas morts en vain, une écharpe verte autour du cou.