Qu'importent les prix internationaux, l'éclosion du cinéma chinois sur la planète, ou la simple évocation d'une culture millénaire, la Chine selon Jiang sera américaine. Ou ne sera pas.

Un passage de la lettre ouverte qu'a fait parvenir Charles Binamé à la ministre de la Culture du Québec, publiée plus tôt cette semaine dans Le Devoir, était particulièrement éloquent. Dans sa missive, rédigée à la suite du refus du Ministère d'investir dans la rénovation - et l'agrandissement - de l'eXcentris, le cinéaste invitait en effet les autorités à saisir la belle occasion, tout en insistant sur le caractère urgent de la situation.

«Ce qui nous définit également, mais ce qui nous appauvrit, cette fois, c'est l'effet de ce que je qualifierais de l'aplanissement par la «monoculture», au cinéma, a-t-il écrit. Je veux parler de l'invraisemblable dumping, de cette avalanche de productions hollywoodiennes qui laminent le paysage québécois et contre laquelle nous avons, en vain, tenté d'endiguer la marée. Bien que la culture américaine qui les sous-tend fasse partie, dans une certaine mesure, de notre identité (et, disons-le, parfois pour notre plus grand bonheur), je veux vous rappeler que notre véritable talon d'Achille, sur le plan de l'imaginaire, est cette inexorable «capture» de nos écrans... Nombre de courroies de transmission des cultures étrangères ont, en effet, cessé de travailler. Les projecteurs se sont éteints, ou ont troqué leurs bobines de film, avançant l'argument du rendement. À Montréal, le cinéma Beaubien est notre dernier bastion, que dis-je, notre ultime retranchement! Pour une ville de plus de deux millions et demi d'habitants, je considère ce fait comme une humiliation.»

C'est vrai, le réalisateur de Maurice Richard a malencontreusement oublié la contribution du Cinéma du Parc à la diversité de l'offre cinéma dans la métropole québécoise. Ce qui, on peut le comprendre, a soulevé l'ire de son administrateur Roland Smith, lequel souhaite maintenant, de son côté, louer les salles d'eXcentris. Mais au-delà de cette discussion, le danger auquel fait écho Binamé dans sa lettre est bien réel.

Ceux qui doutent des effets de la globalisation de la «monoculture» sur la richesse culturelle d'un peuple devraient en effet lire un article mis en ligne plus tôt cette semaine par le New York Times sous la plume d'Edward Wong, son correspondant en Chine. Le journaliste y trace le portrait de Jon Jiang, riche homme d'affaires chinois âgé de 40 ans qui a décidé de s'improviser producteur de cinéma, fort des 4000 films qu'il a vus dans sa vie, principalement américains.

Très ambitieux, Jon Jiang a investi l'immense studio de Huairou, au nord de Pékin, afin de produire une superproduction au coût de 100 millions de dollars (une somme énorme dans le contexte chinois), qu'il destine au marché international. Ce qui, en clair, veut dire qu'Empires of the Deep rassemble pratiquement tous les genres du cinéma hollywoodien en un seul film. On y trouverait, entre autres, des éléments d'Avatar, de Gladiator et de Pirates of the Caribbean. C'est évidemment tourné dans la langue de Shakespeare, principalement avec des acteurs américains inconnus. Monsieur Jiang a par ailleurs fait appel à des réalisateurs étrangers pour mener à bien ce projet, lesquels, de Pitof (Catwoman) à Michael French (Heart of A Dragon), en passant par Jonathan Lawrence (The Family Mancuso), ont tous quitté le navire au bout d'un moment.

Le plus ahurissant dans toute cette histoire est de constater à quel point le producteur Jiang affiche sans honte le profond mépris de sa propre culture. Il reproche notamment aux cinéastes chinois, dont Zhang Yimou (Hero), de limiter le potentiel de son «industrie» en choisissant des histoires trop liées à la Chine, avec, comble de l'ironie, des acteurs chinois pour les interpréter! «Les films que réalisent les cinéastes chinois n'ont aucune valeur à mes yeux», déclare le plus simplement du monde l'apprenti producteur. Qu'importent les prix internationaux, l'éclosion du cinéma chinois sur la planète, ou la simple évocation d'une culture millénaire (magnifiquement illustrée par les spectacles mémorables que Zhang Yimou a mis en scène pour les Jeux olympiques de Pékin), la Chine selon Jiang sera américaine. Ou ne sera pas.

Plus colonisé que ça, on devient... Elvis Wong?