Roman Polanski est libre. La Suisse a refusé hier l’extradition du cinéaste aux États-Unis, pour le viol d’une adolescente de 13 ans commis en 1977. Polanski, de retour en France, ne risque pas d’être inquiété de sitôt par la justice américaine.

Dix mois après son arrestation au Festival du film de Zurich, il s’agit d’un retour à la case départ pour le réalisateur de Chinatown. Et la question de se poser : à quoi a servi cette longue intrigue politicojudiciaire, sinon à susciter une polémique internationale ?

Roman Polanski a commis son crime, odieux et indéfendable, il y a 33 ans. La chose a été publicisée, débattue, et fort médiatisée au moment où, craignant une peine plus sévère que celle négociée par ses avocats, le cinéaste a fui la Californie pour Paris (voir à ce sujet le documentaire Roman Polanski : Wanted and Desired, de Marina Zenovich).

Chaque fois qu’il a été question de Roman Polanski depuis, notamment lorsqu’il a remporté in absentia l’Oscar du meilleur réalisateur pour Le pianiste, en 2003, les médias ont abondamment rappelé les raisons et les circonstances de son exil.

Il a pourtant fallu son arrestation en Suisse, dans des circonstances controversées, en septembre dernier, pour que le débat autour de son crime soit relancé. Dans la foulée, les dérapages ont été nombreux. Autant de la part de ceux qui ont banalisé le viol, en prétextant les «mœurs libérales» de l’époque, que de ceux qui, soudainement assoiffés de vengeance, ont réclamé que Polanski soit envoyé au bûcher (comme si le fugitif de 76 ans venait d’être découvert caché dans une caverne).

Le silence d’environ 30 ans des uns et des autres sur la question m’a semblé pour le moins paradoxal au moment du tollé. Moins paradoxal, cependant, que les positions contradictoires de la Suisse dans «l’affaire Polanski», véritable fiasco de relations internationales.

Roman Polanski possède depuis quelques années un chalet en Suisse, où il se rend régulièrement depuis 30 ans et où il a séjourné pendant trois mois en 2009 avant d’être arrêté. À l’invitation officielle de la Suisse, il a accepté de recevoir un prix, devant être remis fin septembre par un haut fonctionnaire fédéral au Festival du film de Zurich.

On connaît la suite. En lieu et place, Polanski a été arrêté et assigné à résidence à Gstaad en échange d’une caution de 4,5 millions de dollars, en attente d’une extradition aux États-Unis, après que la Suisse eut elle-même alerté les autorités américaines de sa présence sur son territoire.

La réaction a été immédiate dans la presse suisse. «La Suisse a-t-elle voulu faire plaisir aux États-Unis au risque d’un excès de zèle qui n’améliore guère son image de marque à l’étranger ?» a demandé le quotidien Le Matin. «Pouvait-on manquer à ce point de sensibilité pour ne pas anticiper le tollé que cette arrestation allait provoquer et les dégâts d’image qu’elle ne manquerait pas d’entraîner ?» s’est questionné le journal Le Temps.

Des centaines de cinéastes, artistes, intellectuels et journalistes (j’en suis) ont aussitôt dénoncé les circonstances de l’arrestation de Polanski en déplorant qu’une manifestation culturelle ait été transformée en «traquenard policier».

La Suisse, accusée de se servir d’un festival de films comme subterfuge pour offrir un fugitif en pâture aux États-Unis, n’a pourtant pas bronché. Aussi, l’extradition de Roman Polanski aux États-Unis ne semblait plus qu’une formalité.

Hier, coup de théâtre. Prétextant un vice de procédure dans la demande d’extradition, la ministre de la Justice suisse Eveline Widmer-Schlumpf a décidé de libérer Polanski sur-le-champ. «Roman Polanski ne se serait certainement pas rendu au Festival du film de Zurich en septembre 2009 s’il n’avait pas eu confiance dans le fait que ce voyage n’aurait pas de conséquences juridiques», a-t-elle relevé dans un communiqué.

Pourquoi, 10 mois après l’arrestation du cinéaste, cette soudaine volte-face ? La Suisse, qui a agi à mon sens en État-délateur dans cette affaire, a-t-elle brusquement eu la clairvoyance et l’humilité de reconnaître son erreur ? M’est avis qu’il s’agit plutôt d’une posture stratégique, qui relève de la joute politique internationale et de l’affirmation d’une souveraineté nationale.

Craignant peut-être de perdre davantage la face sur l’échiquier mondial, en passant pour chien de poche des États-Unis, la Suisse aurait rendu cet étonnant verdict. De hauts fonctionnaires suisses ont évoqué hier les préoccupations «d’intérêt national» qui avaient guidé la décision de leur gouvernement.

Dix mois plus tard, Roman Polanski est libre. Il devra vivre jusqu’à la fin de ses jours avec les conséquences de ses actes répugnants. La réputation de neutralité helvétique, mise à mal par cette affaire, n’en est pas moins ternie.