Une enseignante se pend dans sa classe de 6e année. Bachir Lazhar, un réfugié algérien au Québec, propose de la remplacer. En tentant de rassurer des écoliers traumatisés, l'homme vivra le deuil de sa propre famille: ses deux filles et sa femme ont été tuées dans un attentat terroriste. Est-il vraiment l'instituteur qu'il prétend être? Risque-t-il d'être expulsé du pays?

Ce cadre, dramatique, est celui du quatrième long métrage de l'auteur-cinéaste Philippe Falardeau, Bachir Lazhar, inspiré de la pièce de la comédienne et dramaturge Evelyne De la Chenelière.

«C'est un film sur le deuil et le sentiment de culpabilité, explique Philippe Falardeau, rencontré hier sur le plateau de tournage du film, dans une école du Plateau-Mont-Royal. Les enfants se sentent coupables de la mort de leur prof. Et Bachir se sent coupable de la mort de sa famille. C'est un processus de guérison mutuelle.»

C'est en voyant la pièce d'Evelyne De la Chenelière il y a trois ans, à sa création, que Philippe Falardeau est tombé sous le charme de ce personnage énigmatique. «Il vit un drame d'immigrant, de réfugié, mais l'enjeu est ailleurs, dit-il. La vraie richesse du personnage se trouve dans sa relation avec les enfants. Il leur fait parler de la mort de leur professeur, mais c'est de la mort de sa propre famille qu'il a besoin de parler. J'aime la pudeur, la retenue du personnage.»

Deux ans après C'est pas moi, je le jure!, Philippe Falardeau s'intéresse de nouveau à l'enfance.

Il faut le voir, entre deux prises, sous ses airs d'animateur de camp de jour, lancer une balle en classe pour capter l'attention d'une vingtaine d'enfants. «Silence dans trois...» dit-il. «Deux, un, monsieur Falardeau!» lui répondent en choeur les jeunes acteurs.

«Si on m'avait dit il y a cinq ans que je ferais des films avec des enfants, j'aurais été très sceptique, dit le cinéaste. C'est un peu un hasard. Mais j'adore travailler avec les enfants, parce que ça oblige à installer une atmosphère ludique sur le plateau et je pense que ça finit par paraître à l'écran. Par contre, je ne crois pas que je pourrais faire un film seulement pour les enfants. Ça ne m'intéresse pas.»

Bachir Lazhar est sans l'ombre d'un doute un film destiné aux adultes. Il marque aussi un retour à un cinéma social plus engagé pour l'auteur de La moitié gauche du frigo. Un cinéma centré sur la relation entre un professeur et ses élèves, qui aborde en filigrane les thèmes de l'immigration et du sort réservé aux réfugiés.

«Je trouve qu'il y a un potentiel social et politique dans le personnage de Bachir. Parce que c'est un immigrant qui débarque chez nous. C'est l'autre qui arrive et qui pose des questions: sur l'enseignement, sur le deuil, sur l'école, sur la mort. Ça dérange. Forcément.»

Un immigrant, des questions qui dérangent...Le tournage de Bachir Lazhar coïncide ironiquement avec une polémique suscitée il y a deux semaines par des déclarations du cinéaste Jacob Tierney sur l'absence d'immigrants dans le cinéma québécois. Qu'en pense Philippe Falardeau?

«J'ai passé ma journée à faire des entrevues (après ses déclarations) et il n'y a personne qui a relevé que je disais à peu près la même chose que Jacob. C'est parce que c'est un anglophone qui l'a dit. Quand on dit «un chat est un chat», c'est quoi le problème? On ne s'intéresse pas à l'autre dans nos films. Il y a des cinéastes qui l'ont fait: Chouinard, Brault, Villeneuve, Gagnon, moi avec Congorama, mais c'est correct de dire que les immigrants ne sont pas présents dans nos films. Maintenant, est-ce qu'on devrait forcer les gens à écrire là-dessus? Non. Il faut laisser les artistes s'exprimer sur les sujets de leur choix. Mais c'est aussi la responsabilité des artistes d'être de leur temps. Les poètes des années 50 ont précédé la Révolution tranquille. Nous, au cinéma, on est toujours un petit peu en retard sur ce qui se passe. Là-dessus, il a raison.»

Le rôle de Bachir Lazhar est interprété par Fellag, un artiste français d'origine algérienne reconnu pour ses spectacles d'humour politisés. «Il a dû quitter l'Algérie parce qu'il était menacé de mort», précise Philippe Falardeau, qui a vu plusieurs acteurs en audition avant de choisir Fellag pratiquement sur-le-champ.

«Évidemment, je nourris ce personnage de mes propres expériences. Je joue là-dessus beaucoup. Il y a dans Bachir une partie de ma mémoire à moi», dit le comédien, qui a habité trois ans au Québec à la fin des années 70.

Le tournage de Bachir Lazhar, entamé il y a 10 jours, doit se poursuivre cet été et se terminer à l'hiver. Le film, produit par Luc Déry et Kim McCraw de micro_scope, met également en vedette les jeunes Sophie Nélisse et Émilien Néron, Brigitte Poupart, Danielle Proulx, Jules Philip, Francine Ruel et Louis Champagne. Il devrait être complété au printemps 2011.