Je suis toujours assez stupéfait de constater que certains films dont on parle pendant des mois dans la blogosphère meurent souvent de leur belle mort en tant que sujet de discussion dès leur sortie en salle. Un peu comme si les internautes préféraient le plaisir de l’anticipation en spéculant sur les détails d’une superproduction plutôt que de débattre du produit fini. Inception est toutefois l’exception qui confirme la règle. L’arrivée de ce mégafilm d’auteur, issu de l’imagination fertile de Christopher Nolan, a provoqué un déferlement d’analyses en tous genres.

Tous ceux qui tiennent chronique dans la presse écrite y sont allés de leur laïus. Inception se maintient aussi en position de pointe parmi les thèmes les plus souvent abordés sur les réseaux sociaux. La blogosphère surchauffe. Et à sa traîne, le sempiternel débat sur la critique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, plus que du film lui-même. La plupart des discussions tournent en effet autour de l’accueil – favorable dans un premier temps; moins dans un deuxième – qu’a obtenu Inception. À une époque où la rumeur s’emballe à la vitesse de l’éclair avant même d’y accorder le moindre temps de réflexion, le phénomène prête flanc à l’inspection. Et déborde inévitablement sur un débat à l’intérieur duquel des critiques s’expriment sur le travail d’autres critiques.

Le journaliste du Los Angeles Times Steven Zeitchik a interrogé plusieurs de ses collègues au cours des dernières semaines. Dans son article, il relève qu’Inception a d’abord fait l’unanimité auprès de ceux ayant eu l’occasion de voir le film il y a quelques semaines – j’y étais – lors des rencontres de presse organisées pour en assurer la promotion. Le problème n’est pas tant le fait que ces journalistes invités, jeunes et travaillant sur le web pour la plupart, aient diffusé une rumeur favorable. Bien la moindre des choses pour un film de cette qualité. Mais l’emploi incessant de superlatifs et les multiples références à de grands classiques du cinéma – Vertigo par-ci, 2001: L’odyssée de l’espace par-là – ont forcément créé des attentes, démesurées aux yeux de certains. D’où l’effet de ressac suscité par la suite auprès de quelques critiques influents de la presse quotidienne. Qui ont moins manié le dithyrambe que les journalistes de la «première» vague.

«On note une tendance dans la blogosphère, mais aussi dans la culture américaine en général, de polariser les opinions, observe le critique du Chicago Tribune Michael Phillips. On adore ou on déteste.» David Ansen, légendaire critique du Newsweek et désormais directeur artistique du Festival de Los Angeles, tend lui aussi à souscrire à la thèse du phénomène d’époque. «Nous vivons dans une ère où nous avons tendance à surévaluer la moindre production qui présente des qualités. Je ne suis pas certain que l’enthousiasme aurait été aussi grand dans un autre temps.»

Vrai que l’âge d’or de la critique correspondait aussi à celui d’un cinéma en pleine effervescence. D’anciens et de nouveaux maîtres du septième art, qu’ils aient pour nom Hitchcock, Coppola, Kubrick ou Scorsese, proposaient alors des œuvres dignes de réflexion, à propos desquelles les critiques pouvaient nourrir leurs analyses.

Le cycle des vagues n’est toutefois pas nouveau, rappelle Roger Ebert en citant l’essayiste Dwight Macdonald. «Les critiques de la presse quotidienne allaient au plus direct; les critiques des hebdos corrigeaient leurs collègues ensuite; et les critiques des mensuels fonçaient dans le tas!» On assisterait donc aujourd’hui au même processus, à la différence qu’il s’étend désormais sur la toile de façon instantanée.

Les grands studios ne produisant désormais plus que des superproductions consensuelles destinées à un public de plus en plus jeune, il n’y a pourtant pas lieu de s’étonner quand les superlatifs pleuvent dès qu’une œuvre un peu plus ambitieuse affiche ses plus beaux atours. C’est le cas d’Inception. Qui, à mon humble avis, reste sans contredit l’un des meilleurs films de 2010, ressac ou pas.

«Chaque film digne d’être vu mérite une discussion, et chaque film digne d’une discussion mérite d’être vu», résume A.O. Scott, critique du New York Times, dans son article sur le même sujet. On ne saurait mieux dire.

La critique américaine et son histoire

Pour ceux que la question intéresse, je vous suggère un document que le Cinéma du Parc mettra à l’affiche dès vendredi prochain: For the Love of Movies – The Story of American Film Criticism. Ce documentaire, réalisé par Gerald Peary, retrace l’histoire de la critique cinématographique aux États-Unis, depuis sa naissance dans les journaux spécialisés, où elle a fait son apparition 10 ans après l’arrivée du cinéma, jusqu’à la révolution internet, laquelle a complètement changé la donne. Un point commun entre tous les intervenants, des légendaires Pauline Kael et Andrew Sarris, en passant par Jonathan Rosenbaum, Roger Ebert et tant d’autres: un amour inconditionnel du cinéma. «Je ne veux rien faire d’autre!» déclare Sarris, ancien critique du Village Voice et du New York Observer.

Ma déclaration préférée revient toutefois au regretté Vincent Canby (New York Times): «Il n’y a rien que je déteste plus que lorsqu’on me demande une opinion à chaud. Je ne sais pas encore ce que je vais penser d’un film tant que je ne me mets pas à écrire!»

 

Personnellement, je me contente habituellement d’un «pas de commentaire» pour dire exactement la même chose.