Il y a exactement neuf ans, le Festival de Toronto venait à peine de commencer lorsque les tours jumelles du World Trade Center se sont effondrées. Difficile dans un tel contexte de continuer à faire la fête comme si de rien n\'était, surtout quand une bonne partie de vos invités sont cloués au sol dans des aéroports aux quatre coins du monde. Le festival de 2001 ne ferma pas boutique pour autant mais, par solidarité, toutes les fêtes furent annulées. Neuf ans plus tard, le 11 septembre 2001 est un mauvais souvenir qui n\'empêche plus personne de fêter fort au festival de Toronto.

Depuis ses débuts, et je ne parle pas des deux premières années d\'existence alors que pas une seule vedette américaine, française ou même bulgare se montra le bout du nez. Je parle de 1978, l\'année où le festival se mit au monde avec une émeute devant le théâtre Elgin pour la première du film In Praise of Older Women de Robert Lantos. Par peur panique de se retrouver devant une salle vide, les organisateurs avaient distribué deux fois plus de billets qu\'il n\'y avait de sièges dans le cinéma. La foule s\'emballa, les gens commencèrent à crier, à pousser et la cohue fut telle que la police fut appelée. Heureusement, la soirée se termina par une immense fête à l\'hôtel de ville de Toronto où, pour la première fois, les organisateurs et les festivaliers eurent l\'impression de prendre possession de la ville. Cette première grande fête allait donner le ton et sceller la réputation d\'un festival reconnu pour ses films, mais aussi beaucoup pour ses fêtes et ses nuits folles. Trente-deux ans plus tard, c\'est encore le cas, comme j\'ai pu le constater à la grande fête d\'ouverture jeudi soir dans un immense complexe néo-rococo sur le bord du lac Ontario, le Liberty Grand, coincé entre un arc de triomphe donné par le prince Edouard en 1927 et la toute première éolienne érigée en milieu urbain.

Puisque le hockey était le thème de la soirée, gracieuseté du film d\'ouverture, The Score, a Hockey Musical, la plus grande salle de bal arborait une immense sculpture de glace en forme de patinoire. Le pourtour de la patinoire était incrusté de centaines de shooters de vodka, offerts par de jolies arbitres en minijupe et socquettes rayées noir et blanc. Autour, les gens s\'empiffraient d\'ailes de poulet, de hot-dogs et de pizzas. Heureusement, on avait prévu autre chose pour les fines bouches. Du moins, c\'est ce que je croyais en m\'approchant du kiosque le plus achalandé où, après avoir fait la file derrière deux jeunes d\'origine asiatique excitées, je découvris que les petites boîtes en carton si populaires ne contenaient ni crevettes ni calmars. Elles contenaient de la poutine que les gens s\'arrachaient comme s\'il s\'agissait de caviar. C\'est bien pour dire.

Cette première fête a débuté à 22 h. À 2 h du matin quand j\'ai quitté la salle, il y avait trois fois plus de monde qu\'au début. Peu de vedettes, hormis Olivia Newton-John et Nelly Furtado, réfugiées derrière le cordon rouge de la section VIP. Peu de vedettes, mais entre 1000 et 2000 invités de tous les âges, de toutes les races, fumant comme des cheminées dans les jardins, avalant bière, vin et vodka comme si c\'était de l\'eau et dansant comme des derviches en transe au son d\'une lancinante musique techno. Et, au milieu de la cohue, un petit îlot de Québécois formés par les cinéastes Louis Bélanger et Robin Aubert, le comédien Patrick Hivon et Félize Frappier, la fille du producteur Roger Frappier.

Tous se demandaient comment une ville ayant longtemps détenu la palme de la platitude alors que Montréal remportait celle de la ville la plus festive, comment cette ville avait-elle pu accoucher d\'une telle frénésie et d\'un tel goût de la fête? Peut-être est-ce une question d\'argent ou simplement parce que la fête, comme l\'appétit, vient en fêtant. Chose certaine ce soir, neuf ans après le 11 septembre, la fête continue.