Bizarrement, j'ai beaucoup pensé à Sylvain Lelièvre au cours de la dernière semaine. L'air de sa fameuse Lettre de Toronto, écrite il y a une trentaine d'années, n'arrêtait pas de trotter dans ma tête comme un vers d'oreille qui aurait perdu son chemin. Je me suis même surpris à imaginer ce qu'aurait bien pu écrire aujourd'hui le correspondant du regretté barde s'il devait envoyer une nouvelle missive en provenance de la Ville reine. «Pis Toronto c'est pas la rue Saint-Jean.» Oh que non.

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Quand on se regarde, on se désole; quand on se compare, on se console, dit l'adage. Le Montréalais qui s'est retrouvé à arpenter les trottoirs de la métropole canadienne au cours des derniers jours avait beau tenter de se consoler en utilisant tous les moyens dont il dispose, dont la mauvaise foi, il ne pouvait plus nier l'évidence. La distance séparant les deux villes traditionnellement «rivales» ne cesse de s'accentuer. À un point où celle qui traîne derrière (devinez laquelle) n'aura bientôt plus l'énergie de se défendre. Le point de non-retour est peut-être même déjà atteint. Pendant le Festival international du film de Toronto cette année, c'était plus flagrant que jamais.

L'ouverture du Bell Lightbox, le plus beau complexe cinématographique du pays, y est bien entendu pour quelque chose. Tout comme la présence du quartier général du TIFF dans un hôtel adjacent au Lightbox, situé au coeur du quartier des spectacles (tiens?), un secteur très animé où les gens ont envie de célébrer l'art, la culture, la vie.

Au-delà des nouvelles infrastructures, le changement des mentalités nous sautait au visage cette année. Disposant désormais d'une ville dont il découvre tout à coup la valeur, le Torontois s'est visiblement débarrassé de ses complexes. Et il a maintenant envie de faire la fête plutôt que de s'excuser continuellement pour son existence même.

Pendant des années, nous observions ce festival de cinéma trop grand pour lui évoluer vers une logique marchande qui reflétait bien le caractère mercantile de la capitale financière du pays. Le TIFF est avant tout un immense marché où se brassent de grosses affaires. Les nombreuses ententes de distribution annoncées au cours de la dernière semaine en témoignent.

Vu de notre côté de la lorgnette, les rôles étaient bien tenus jusque-là. On se désolait depuis 15 ans pour tous ces films attendus prenant le chemin de la Ville reine plutôt que le nôtre, mais on voyait quand même dans ce choix des producteurs et distributeurs une «décision d'affaires». Dans l'esprit de tout le monde (surtout le nôtre à vrai dire), Montréal incarnait encore la ville du plaisir, du sens artistique, de l'audace, de la créativité. Pauvre comme Job, mais des idées plein la tête.

Or, Toronto est en train de se démarquer de ce côté-là aussi. Oui il y a du fric. Mais il y a aussi des gens qui ont le talent de dépenser ce fric intelligemment. On verra si le Bell Lightbox, érigé au coût de 196 millions de dollars, atteindra son objectif d'attirer son million de visiteurs cette année, mais les Torontois ont toutes les raisons du monde d'être fiers et de pavoiser. La première année du TIFF sous ce nouveau toit fut une éclatante réussite.

Plutôt que de voir chaque victoire torontoise comme une agression sur Montréal, il vaudrait peut-être mieux désormais analyser cette réalité et en tirer les dures leçons qui s'imposent. Le succès du TIFF s'est construit au fil des ans, avec l'appui de tout un milieu culturel qui a préféré se serrer les coudes plutôt que de se perdre en de stériles guerres de clochers. Les commanditaires se bousculent, les donateurs délient généreusement les cordons de leurs bourses. L'image de marque de l'organisation est bien préservée. Le mécénat, très présent chez les anglos, mais plus rare chez les francos, est indispensable à la réussite de l'entreprise.

L'Expo 67, les Jeux olympiques de 76 ou les 24 coupes Stanley du Canadien ne pourront éternellement nous servir d'alibi. Il faut agir. Vite. Et travailler fort dans les coins pour occuper encore un peu d'espace sur la glace. Sinon, la partie risque de se jouer sans nous...

Une question d'affection

Avec quatre autres collègues québécois, j'ai eu le plaisir d'un entretien avec Catherine Deneuve, venue à Toronto afin d'accompagner la présentation de Potiche de François Ozon. Bien sûr, on dira qu'elle s'est prêtée au jeu de la promotion et qu'elle n'apprécie pas nécessairement - on peut la comprendre - ce genre d'exercice. Mais l'actrice fut quand même enjouée et généreuse, dans la limite de son statut d'icône bien entendu. Il est surtout ressorti de cette conversation un élément qui ne ment pas: l'affection qu'elle porte pour Potiche. Quand un acteur ou une actrice aime sincèrement le film dont elle fait la promotion, cela fait toute la différence au monde. C'est pourtant moins fréquent qu'on ne le croit...