Honnêtement, j'ai été heureux de le revoir en aussi belle forme. Joaquin Phoenix s'est présenté sur le plateau du Late Show with David Letterman mercredi en pleine possession de ses moyens, aminci, frais rasé, les idées claires, en bonne santé. L'homme est revenu sur le lieu de son crime en renvoyant une image complètement différente de celle de l'épave ambulante qu'il trimballait en public depuis près de deux ans au profit de I'm Still Here, un faux documentaire sur les «affres de la célébrité».

J'étais surtout heureux de savoir l'acteur de retour après cette curieuse incartade du côté d'un «cinéma-réalité» dont l'effet semble avoir fait chou blanc. «Je regardais des émissions de téléréalité et j'avais du mal à croire que des gens puissent penser que ce qui se passe là est authentique», a-t-il expliqué à Letterman. En compagnie de son beau-frère Casey Affleck, l'acteur a donc poussé la logique plus loin en racontant de façon la plus réaliste possible la déchéance d'un acteur - lui-même - ayant décidé d'abandonner sa carrière pour tenter sa chance dans le hip-hop. «Ce fut une expérience très gratifiante», dit-il aujourd'hui.

Je fais partie de ceux qui ont vu I'm Still Here avant que Casey Affleck ne révèle au New York Times - sous les pressions du distributeur américain, semble-t-il - que le film n'est en fait que pure fabrication. Je fais aussi partie de ceux qui se sont fait avoir. Solide. Même s'il était clair que plusieurs scènes relevaient de la fiction, j'avais le sentiment que la souffrance évoquée dans ce film découlait quand même d'un véritable questionnement existentiel. D'autant plus que l'homme peut aussi être imprévisible et écorché dans la vie. Oui, Joaquin Phoenix est un acteur prodigieux. Sa performance est vraiment digne d'un Oscar.

Je me console à l'idée de ne pas être le seul à avoir été berné. David Letterman, qui avait fait valoir ses talents d'improvisation lors de l'infâme entrevue où Phoenix incarnait son personnage à l'insu de l'animateur et du public, attendait visiblement l'acteur de pied ferme mercredi.

L'interview de février 2009 occupant une bonne place dans le film, tout autant que dans la promotion du faux documentaire, le célèbre humoriste a réclamé à l'acteur une compensation financière - un million de dollars - pour l'utilisation de son image et d'extraits de son émission.

-«Vos avocats affirment qu'ils n'ont rien à payer parce qu'il s'agit d'un documentaire. Mais là vous venez de révéler que ce n'en est pas un.

-Mais nous avons ramassé 75 cents avec ce film!

-Pas mon problème.

-On trouvera une entente. Peut-on s'en parler dans un endroit privé?

-Oui. Donnons-nous rendez-vous dans une salle où le film est projeté!»

Tel est bien là le principal problème de I'm Still Here. Maintenant que tout le monde sait qu'il s'agit d'un faux documentaire, l'histoire entourant toute sa fabrication devient beaucoup plus intéressante que le film lui-même. On rêve de voir un jour le making of.

Un jeu peu crédible

Le jeu de la mort joue aussi sur la notion du vrai et du faux. Ses concepteurs empruntent une approche beaucoup plus prétentieuse, cela dit. Présenté plus tôt cette année à la télé française, ce document de Thomas Bornot, à l'affiche chez nous aujourd'hui sur grand écran, entend dénoncer le pouvoir excessif de la télévision en retentant une expérience déjà menée par le scientifique américain Stanley Milgram dans les années 60. On étudie le phénomène de la soumission à l'autorité à travers une fausse émission de télévision au cours de laquelle les concurrents - qui croient participer à un vrai jeu - doivent envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à un candidat, au gré des mauvaises réponses livrées par ce dernier. À la limite, cette étude sociologique peut présenter un certain intérêt, même si l'on sait d'office - l'histoire le prouve - que l'être humain est capable du meilleur et du pire, particulièrement quand il est plongé dans des circonstances particulières.

Or, Le jeu de la mort n'a aucune espèce de crédibilité à mes yeux. La fausse émission de télévision sur laquelle on s'appuie pour étayer ensuite - de façon très condescendante - des théories scientifiques sur le comportement humain, est mal animée et mal jouée. Les supplications de la victime, entre autres, sont risibles tant le comédien est mauvais. Les gens choisis pour former le public semblent avoir été lobotomisés («La fortune! La fortune! Le châtiment! Le châtiment!» scandent-ils), et il émane de l'ensemble un aspect tellement factice que toute la démonstration s'en trouve discréditée.

Comble de l'ironie, on dénonce le pouvoir excessif de la télévision en utilisant exactement les mêmes moyens. En plus mal. Le vrai sujet de cette expérience étant la soumission des individus au pouvoir d'une autorité, le monde de la télé devient ainsi bien accessoire. Pour explorer des thèmes similaires, mieux vaut revoir Das Experiment d'Oliver Hirschbiegel, un film de fiction allemand dont la démonstration est beaucoup plus éloquente.