John Lennon aurait eu 70 ans samedi dernier. Le 8 décembre, on soulignera le 30e anniversaire de sa mort. Et comme à chacun de ces anniversaires ronds, des albums sont réédités, des films prennent l'affiche, journaux, télé, radios ravivent le souvenir de son oeuvre fulgurante.

Yoko Ono, à qui l'on a prêté jadis toutes les intentions maléfiques, consacre sa propre existence à s'assurer que celle de son regretté amoureux ne soit pas oubliée. Elle multiplie les entrevues, infatigable championne du legs de Lennon, qu'elle compare à un Shakespeare de son époque, sur toutes les tribunes.

La muse s'est donné comme mission de ne jamais laisser s'éteindre la flamme. Admirable travail de gardien de phare, de héraut de la mémoire. Yoko ne ménage aucun effort afin de pérenniser l'oeuvre de John, quitte à forcer le trait et verser dans l'opération de relations publiques.

Yoko, par son insistance, en fatigue certains. Elle l'a toujours fait. Prenant prétexte du 70e anniversaire de John, elle s'est associée à EMI pour la sortie de neuf disques, quatre compilations, une nouvelle collection de meilleurs succès et l'ensemble des albums solos de Lennon remixés. Pour le meilleur... et pour le reste, comme le notait mon collègue Jean-Christophe Laurence le week-end dernier.

Dans la foulée, prend demain l'affiche en Amérique du Nord Nowhere Boy, premier long métrage de fiction de l'artiste multidisciplinaire Sam Taylor-Wood, sur la jeunesse de John Lennon. Un film biographique qui démarre sur le premier accord de A Hard Day's Night et se conclut au générique avec Mother, de l'album Plastic Ono Band, incontournable dans les circonstances.

Nowhere Boy s'intéresse aux années d'adolescence - mais surtout pas d'innocence - de l'auteur de Nowhere Man, de sa découverte du rock'n'roll à la formation des Beatles, en passant par les balbutiements des Quarrymen. Évitant l'hagiographie, le film scénarisé par Matt Greenhalgh (auteur de Control, biopic sur Ian Curtis) dépeint Lennon comme un adolescent rebelle, fantasque et anticonformiste, brillant et ambitieux. Jeune crâneur à la graine de star.

«Tu n'iras nulle part», lui avait prédit un directeur de collège peu visionnaire. À 15 ans, dans le Liverpool d'après-guerre, John Lennon, étudiant dilettante et fauteur de troubles à temps plein, donne peu de signes de son potentiel artistique. Tout change le jour où il renoue avec sa mère, qui l'a abandonné alors qu'il n'avait que 5 ans.

Présentée comme une femme délurée et aguicheuse, passionnée de rock'n'roll, Julia Lennon éveille chez son fils l'icône pop en devenir. Elle lui enseigne les rudiments du banjo et du chant, tolère ses écarts scolaires, l'enveloppe d'un amour débordant qui frôle le rapport incestueux. L'OEdipe dans toutes ses ramifications freudiennes.

C'est pourtant «Mimi», la soeur de Julia, qui élève John. Femme stricte, inconditionnelle du thé Earl Grey et de Tchaïkovski, incarnée avec son flegme habituel par la grande Kristin Scott Thomas. D'un lien filial à un autre, Lennon découvre l'homme qu'il est. Et nous, grâce à cette oeuvre sensible, l'influence prégnante des premières «femmes de sa vie» sur l'artiste qu'il deviendra. «Mother, you had me. But I never had you...»

Si l'on peut reprocher son traitement académique à Sam Taylor-Wood, une artiste d'avant-garde à qui l'on doit entre autres une installation vidéo du joueur de soccer David Beckham endormi, la présence magnétique du jeune acteur Aaron Johnson et une finesse dans le crescendo dramatique font de Nowhere Boy une réussite.

On prend plaisir à découvrir Paul McCartney en jeune adolescent fluet et propret, ying du yang d'un duo improbable et légendaire. Sir Paul ne semble pas avoir autant apprécié, comme il le confiait au Sunday Times: «C'est un film. «Ceci n'est pas une pipe», aurait dit Magritte. C'est un tableau. C'est un film qui capture l'essence d'une époque, mais pas pour moi, parce que j'y étais.»

En revanche, le film a été cautionné par Yoko Ono, chose rare, qui a déclaré que «John l'aurait adoré». Une pierre de plus dans l'édification du mythe? Si tant est qu'il soit nécessaire d'entretenir le mythe d'un demi-dieu s'étant autoproclamé plus populaire que Jésus...