Il y a eu le film d'ouverture du Festival du nouveau cinéma, 10 1/2 de Podz, jeudi dernier. Il y aura le film de clôture du FNC, Curling de Denis Côté, dimanche. Entre les deux, d'autres films québécois du Festival: Jo pour Jonathan de Maxime Giroux, Deux fois une femme de François Delisle...

Il y a aussi les films de la rentrée: Trois temps après la mort d'Anna de Catherine Martin, Tromper le silence de Julie Hivon, Route 132 de Louis Bélanger, À l'origine d'un cri de Robin Aubert, voire Incendies de Denis Villeneuve.

On n'aime pas les généralisations. Un film est une oeuvre en soi, qui peut fort bien se passer d'explications et surtout, de comparaisons. Mais je ne suis pas le premier à le remarquer, et il serait inutile de le nier: la tendance lourde de l'automne dans le cinéma québécois se résume à une couleur dominante, le gris.

Le gris comme zone d'ombre d'un cinéma d'auteur de qualité, décliné dans tous ses tons et ses nuances, du plus pâle au plus foncé, mis en valeur dans une image filtrée ou s'annonçant cru et franc. Le gris comme une métaphore, témoignant, même inconsciemment, d'une préoccupation commune de l'époque: la détresse humaine.

On excusera mes élans poétiques maladroits, à mettre en partie sur le compte d'un spleen automnal, mais ces jours-ci, à fortes lampées, le cinéma québécois a l'effet d'une première mousson. Sombres grisailles accentuées de secousses émotives, pluies diluviennes de pleurs, ennui nécessaire... D'accord, d'accord, j'ai compris: j'abandonne la poésie.

Toujours est-il qu'entre 10 1/2, Curling et autres Deux fois une femme, il fallait avoir le coeur bien accroché, l'optimisme dans le tapis, sinon une nouvelle chanson de Philippe Katerine en tête (La banane?), cette semaine au FNC, pour ne pas sombrer dans une mélancolie profonde, voire une léthargie neurasthénique.

Je le répète, au bénéfice des cinéastes comme des cinéphiles, tous ces films ne sont pas à mettre dans le même sac. 10 1/2 est une oeuvre brute sur la rage d'un enfant (Robert Naylor, d'un naturel désarmant) hypothéqué par les abus répétés de parents démunis, que prend en charge un éducateur spécialisé dévoué (Claude Legault, toujours aussi juste).

Deux fois une femme, qui commence de manière tout aussi violente, raconte la fuite physique et psychologique d'une femme (Evelyne Rompré, lumineuse) terrorisée par un mari violent (Marc Béland, l'acteur fétiche de François Delisle), qui tente de refaire sa vie avec son fils adolescent. On salue la poésie du son et des images, l'atmosphère d'inquiétude, moins la poésie parfois affectée du scénario et ses dialogues statiques.

Curling, de son côté, est un film d'épure, sans affect, mettant en scène un père à la dérive (Emmanuel Bilodeau, excellent) qui surprotège sa fille (Philomène Bilodeau, la fille du comédien) contre les aléas du quotidien. Tranche de vie illustrée sobrement, ponctuée de quelques saisissants plans larges hivernaux.

Des films aux signatures fortes, très distinctes, qui sans faire dans la posture ont en commun une approche minimaliste, une esthétique sans éclats et des images d'un gris vaporeux (plus rêche chez Podz). Ainsi que cette thématique commune que j'évoquais au départ: la détresse.

Pourquoi la détresse? Pourquoi le cinéma québécois tire plus souvent vers le gris d'un Kaurismäki que vers le rouge écarlate d'un Almodovar? Pour toutes sortes de raisons, qui tiennent autant à notre histoire (entre autres cinématographique) qu'à notre situation géographique et géopolitique. Le Québec, toutes proportions gardées, n'est pas une terre de grands bouleversements sociopolitiques. Et reste l'un des endroits où le taux de suicide est le plus élevé.

On ne doit donc pas s'étonner que notre cinéma ait si peu de prétentions politiques, soit si peu souvent le porte-étendard de causes sociales et s'intéresse plus volontiers au particulier qu'à l'universel. Le cinéma québécois d'aujourd'hui reste foncièrement ancré dans son époque. C'est un cinéma tout sauf désincarné. Et si un film comme Curling rappelle naturellement le parti pris formel du cinéma québécois des années 70, son propos est bien de son temps.

Cet automne, les cinéastes du Québec s'intéressent à un sujet en particulier, traité de bien des manières, avec un taux impressionnant de réussite: l'aliénation de l'être humain dans un monde hostile et violent, froid et distant, de mensonges, de corruption et de guerre au Moyen-Orient. Bienvenue à la réalité.